Mercredi 23 octobre 2013 par Ralph Gambihler

Un Château en Italie

Je hais le mot et la chose. Le  junket, cet enchaînement d'interviews chronométrées dans un grand palace parisien, est peu propice au feeling et à l'émotion. La preuve avec Valeria Bruni Tedeschi qui fait le job dans une suite d'hôtel parfaitement en accord avec la géographie lustrée de son nouveau film.

Faire le job, cela veut dire qu'elle ne lâchera pas grand chose, ou presque, de cette ultra-sensibilité qu'on lui connait et qu'un environnement familial ultra-peoplisé a dû aiguiser encore d'avantage. Croit-elle qu'on va la solliciter sur la part de réel et de fiction dans "Un Château en Italie" alors que le caractère autobiographique de son univers saute aux yeux ? Imagine-t-elle qu'on va s'abaisser à lui demander pourquoi, dans le film, elle parle de son frère et pas de sa soeur ?

Quelques mots-valise -des noms propres, en l'occurrence- donnent le change. Tchekhov, pour commencer, puisqu'il est question dans le récit d'un arbre qu'on abat et que l'art du burlesque dépressif n'a jamais été aussi bien assumé que dans ce personnage de femme de 43 ans vivotant tant bien que mal entre le Sida de son frangin, la faillite de sa châtelaine de mère et une irrépressible envie de maternité, ce qui donne lieu, au passage, à une séquence d'anthologie dans une clinique sur fond de confusion patronymique.

De Tchekhov on passe à Jean Renoir à qui personne n'a jamais reproché d'avoir filmé les tourments de gens riches ("La Règle du Jeu"...) alors que ce serait là le pêché originel de Valeria Bruni Tedeschi... La comédienne-réalisatrice, à vrai dire, à pris soin de déminer l'affaire en confiant à Xavier Beauvois le rôle de l'ami de famille mi-candide, mi-bouffon, balançant à intervalles réguliers de cruelles vérités. De Jean Renoir on ne passera pas à Louis Garrel. Rien à dire sur l'ex-compagnon à qui est dévolu, ici, un rôle de jeune dragueur censé faire contrepoint aux drames familiaux.  Ce n'est pas la partition la plus réussie du film, surtout au regard de la séquence qui fait référence au désistement de l'acteur sur "Laurence Anyways".

On avait prévu de finir l'entretien sur  "L'Infini", de Giacomo Leopardi. Juste pour savoir si, après avoir performé aussi brillamment dans le tourbillon et les morceaux de bravoure, Valeria Bruni Tedeschi ne serait pas tentée, dans son prochain film, d'adopter un ton plus introverti, plus minimaliste, à l'instar de ce poème qu'elle adore et dans lequel il est question de "surhumains silences et d'une si profonde tranquillité que pour un peu se troublerait le coeur"... La question tombe à l'eau, l'actrice-réalisatrice suggérant que l'on n'a strictement rien compris à son poème de chevet. Rendez-vous manqué. Clap de fin. Le film, lui, est vraiment très beau.

"Un Château en Italie", de Valeria Bruni Tedeschi (Sortie en salles le 30 octobre). Coup de projecteur, le même jour (12h30), sur TSFJAZZ, avec Valeria Bruni Tedeschi.