Inside Llewyn Davis
Dézingué, l'esprit de Kerouac ! "Inside Llewyn Davis", c'est la vie de bohème décolorée par les frères Coen. Dans cette optique, évidemment, leur mise en scène ne brille pas d'une farouche vivacité. Elle s'avère, néanmoins, d'une pertinence redoutable lorsqu'il s'agit d'éclairer le contexte musical dans lequel s'inscrit la triste odyssée de Llewyn Davis.
Greenwich Village, 1959. Llewyn Davis gratouille de la folk que personne n'écoute. Llewyn Davis se fait tabasser à la sortie de ses concerts. Llewyn Davis crie misère, squatte où il peut et n'arrête pas de courir après un vrai chat porte-malheur... C'est l'humiliation incarnée, ce type, quand bien même Ethan et Joel Coen essaient de donner le change avec leur humour grinçant. Le dégradé s'enrichit la faveur d'une virée à Chicago. Llewyn a pour compagnon de voyage un jazzman blanc (John Goodman) reconverti en junkie ventripotent. Croisement improbable de Dr John et Doc Paumus, le bonhomme déclare avoir appris l'art du vaudou auprès de Chano Pozo, à la Nouvelle-Orléans...
Notre malheureux folkeux en voit alors de toutes les couleurs ("Tu joues quoi ?", "De la Folk", "Ah bon, je te croyais musicien"...), tout cela sous le regard blasé d'un chauffeur beatnik qui paraît lui aussi préférer bebop et drogues dures plutôt que les veillées folk au coin du feu... Que d'incompatibilités (culturelles, sociales, générationnelles...) dans cette contre-culture américaine qui aurait pu évoluer tout autrement si la rencontre s'était réellement opérée entre Monk et Bob Dylan. Ou plutôt entre Monk et Dave Van Rock, cet apôtre d'une folk bien rêche dont se sont inspirés les frères Coen pour dessiner le personnage de Llewyn Davis. Le film, à cet égard, éclaire avec une féconde justesse le Greenwich Village d'avant Bob Dylan...
Un Greenwich confidentiel, pas encore à la mode et dont les artisans les plus humbles, dignes héritiers des compagnonnages d'autrefois entre Wooblies et Hobos, vont être balayés quand la scène folk ne sera plus qu'un pur produit commercial... Comme l'écrit joliment le musicien et écrivain Elijah Wald, cet authentique Greenwich Village deviendra alors aussi révolu dans la nouvelle industrie musicale américaine que l'univers des cabanes de plantation dans le delta du Mississippi.
"Inside Llewyn Davis", d'Ethan et Joel Coen, Grand Prix du Jury au festival de Cannes 2013, sortie en salles le 6 novembre.