Lundi 4 novembre 2013 par Ralph Gambihler

Rencontre avec Dominique Sanda

Elle reste insaisissable et ce n'est pas déplaisant. Dominique Sanda enguirlande le micro de son phrasé sans que jamais ne nous vienne l'idée de l'interrompre ou de la recadrer, quitte à ce que le roulis de sa conversion s'absorbe dans une musicalité qui magnétise, une fois de plus. On est bien content d'avoir fini notre café avant qu'elle n'entame le sien. Nul doute qu'elle se serait arrangée pour que la cuillère, dans sa tasse, produise une sonorité spécifique et irréductible au commun des interviewers.

Exactement comme dans "Une Femme Douce" (1969), de Robert Bresson, lorsque le mari et sa jeune épouse se différencient par le bruit de leurs cuillères à soupe. Le film, qui ressort ces jours-ci, est un magistral concentré de tout ce qui peut germer d'incommunicabilité inexpliquée au sein d'un couple. La thématique est fascinante (Voire Antonioni ou encore Godard avec "Le Mépris"...), mais l'interprétation de Dominique Sanda, qui n'a que 16 ans à l'époque, lui donne des atours plus mystérieux encore. Dans ce qui est son premier rôle, la jeune comédienne est déjà au sommet de cet art de l'entre-deux qui l'a rendra éternellement fascinante. Ni docile, ni révoltée. Ni heureuse, ni vraiment mélancolique. Cristalline et dure à la fois. Douce et terriblement inquiétante.

Sa singularité va jusqu'à l'oxymore, autrement dit cette évanescence toute charnelle que Bernardo Bertolucci prolongera sur un mode plus excentrique ("Le Conformiste", "Novecento"...) tout en préférant, et à juste titre, une interprète plus "animale" sur  "Le Dernier Tango à Paris", rôle pour lequel Dominique Sanda fut d'abord pressentie avant que le réalisateur italien ne choisisse Maria Schneider... Non, Dominique Sanda n'a rien d'animal... Elle a, en revanche, une grâce vénéneuse que Vittorio De Sica dramatisera avec brio dans "Le jardin des Finzi-Contini", autre joyau du cinéma italien des années 70.

On retrouvera également la comédienne nue sous un manteau de vison dans "Une Chambre en ville", de Jacques Demy, qui la magnifie en femme libre dans tous les sens du terme. span>Au final, une filmographie d'exception... Quelques trous d'air, également, jusqu'à aller rejoindre un amour argentin en Patagonie. Discrète et rare, alternant dans sa vie comme dans ses films soleil, tempêtes et saisons extrêmes, Dominique Sanda nous revient aujourd'hui dans la pleine intelligence d'une maturité qu'elle n'a assurément jamais désertée, jusqu'à lui préserver cette aura fitzgeraldienne et ces énigmes de l'âme qui en font une véritable actrice-culte.

"Une Femme douce", de Robert Bresson, reprise en salles le 6 novembre. Coup de projecteur avec Dominique Sanda, sur TSFJAZZ (12h30), le jeudi 7 novembre.