A Touch of Sin/Tel père, tel fils
Se méfier des idées reçues et surtout des préjugés à la con. Piochant dans la moisson asiate dont un jury cannois se fit l'écho en coupant la poire en deux (prix du Scénario pour le Chinois, prix du Jury pour le Japonais...), on pouvait s'attendre à ce que la raideur soit l'apanage de l'Empire du Milieu, celui du Soleil Levant cultivant, au contraire, finesse et subtilité. Erreur sur toute la ligne ! Avec A Touch of Sin, Jia Zhangke signe un film choral rouge-sang emprunt d'une vraie délicatesse de l'âme malgré ses explosions de violence. Que de lourdeurs et de schématisme, en revanche, dans le propos du Japonais Kore-eda même si son Tel père, tel fils, du moins en ce qui concerne la mise en scène, comporte d'indéniables moments de grâce.
Un zeste de pêché, donc... Avec A Touch of Sin, Jia Zhangke éclabousse la mosaïque chinoise de ce cocktail hybride et imbuvable d'autoritarisme communiste, de pression sociale et de capitalisme débridé. En quatre temps, quatre mouvements, la caméra filme des individus à bout, à commencer par ce mineur à la gâchette facile ulcéré par la corruption des dirigeants de son village. A l'autre bout du pays, un travailleur migrant trompe l'ennui que lui inspire son épouse en jouant les tireurs fous.
Le sabre aussi fait des étincelles, surtout lorsque l'hôtesse d'accueil d'un sauna se fait enquiquiner par des clients insupportables de vulgarité et d'agressivité. Il y a enfin ce jeune ouvrier qui tente d'échapper au travail à la chaîne dans le textile. Il finira par se suicider après une romance mort-née avec une prostituée dans un bordel où les filles se relookent en gardes rouges pour exciter les hommes d'affaires... Mis en scène de main de maître et travaillé par de très subtils enchevêtrements entre les quatre histoires racontées, A Touch of Sin est le portrait effrayant d'un pays qui ne sait plus donner sens à son évolution. Seules surnagent des résistances individuelles, des errances intimes et des sensibilités exacerbées que Jia Zhangke brosse avec des qualités de coeur qui rendent encore plus accablantes les nouvelles réalités chinoises.
On n'en dira pas autant, malheureusement, de ce Tel père, tel fils dont la trame reprend grossièrement le pitch de La Vie est un long fleuve tranquille. Deux couples que tout sépare sur le plan matériel récupèrent ainsi leur enfant biologique six ans après un malencontreux échange de bébé à l'hôpital. Une occasion rêvée, pour le réalisateur japonais Kore-eda, de faire son tri entre les bons et les méchants jusqu'à s'acharner sur le personnage d'un père architecte bourré de fric, travaillant trop et incapable d'avoir des idées ouvertes sur ce qu'est une vraie filiation. A contrario, chez les "Groseille" nippons tout n'est, évidemment, qu'épanouissement, authenticité et nirvana juvénile façon L'Île aux Enfants. Deux scènes absolument magnifiques, l'une près d'une rivière, l'autre sous la forme d'un long travelling à la toute fin du film, montrent cependant à quel point la douceur d'une caméra peut sauver un scénario des plus convenus.
A Touch of Sin, de Jia Zangke (le film est sorti hier), Tel père, tel fils, de Kore-eda (Sortie le 25 décembre)