Vendredi 14 février 2014 par Ralph Gambihler

Lilith + Mickey One en DVD

À tant broder sur ce Casanova des plateaux qui osa jouer un impuissant (Bonnie & Clyde), on a oublié que Warren Beatty a d'abord incarné un certain âge d'or du cinéma américain. Deux perles rares exhumées des sixties par l'éditeur Wild Side en témoignent: le poignant et secret Lilith (1964), véritable chant du cygne signé Robert Rossen, et le déjanté Mickey One (1965) d'Arthur Penn qui, rien que pour son accoutrement musical, mériterait de figurer bien en vue dans toute vidéothèque de jazzfan digne de ce nom...

Ceci étant, il y a aussi quelques notes bleues dans la B.O de Lilith agencée de main de maître par Kenyon Hopkins. Elles surgissent en quasi fondu enchaîné sur une mélodie romantique, un peu comme une élégie grignotée d'inquiétude... Quelques notes bleues, mais surtout les éclats sombres de Jean Seberg dans la peau d'une nympho internée voulant "marquer de son désir toute créature vivante", et notamment l'aide-soignant que joue Warren Beatty.

Douceur et cruauté. Rivière et torrent. Poésie des âmes et climax à la Shock Corridor... Lilith déplie de façon presque biblique les tourments de son réalisateur au crépuscule de sa vie. A la fois victime et dénonciateur sous le Maccarthysme, Robert Rossen faisait partie de ces mentors torturés dont Elia Kazan fut la figure la plus emblématique... Il saura cultiver lui aussi, comme l'auteur de La Fièvre dans le Sang, l'intériorité à la fois convulsive et déminéralisée de Warren Beatty, ce jeu tout en retrait (il marche tête baissée, dans le film...) et en brisures, jusqu'à cette scène fatidique avec Peter Fonda dont la construction reste un modèle du genre...

L'acteur enchaîne, un an plus tard, avec un autre cinéaste très engagé à gauche mais dont l'intégrité a été moins prise en défaut. Scotché par la Nouvelle Vague, le valeureux Arthur Penn n'en reste pas moins arc-bouté sur les codes de l'Actor's Studio. C'est de cet improbable cocktail que naîtra le délirant Mickey One, ovni dont les imperfections mêmes sont autant de motifs d'adoration. Car tout est branque dans Mickey One, et notamment la compo en roue libre d'un Warren Beatty dans la peau d'un comédien de stand-up s'imaginant pourchassé par la Mafia pour on ne sait quelle raison. Allusion, là encore, au maccarthysme ou à tout ce qui déboussola une certaine Amérique après l'assassinat de JFK ?

L'odyssée paraît en vérité plus existentielle : Kafka à Chicago avec des personnages parfois tout droit sortis de chez Fellini. On s'y sent un peu moins concerné que dans Lilith, mais tellement plus bluffé en même temps par l'expressionnisme de la mise en scène et l'orgie de baroque que procure la B.O. des retrouvailles entre Stan Getz et Eddie Sauter, quatre ans après leur célèbre album, Focus... C'est bien en cela que Mickey One est jouissivement jazz. A l'instar d'un générique d'anthologie qui, sur l'air de One Upon a Time et avant le grand plouf dans l'infernale névrose, balaye en quelques minutes tous les idiomes du swing-champagne (cigare, bagnole et minettes, il n'y manque que le Jack Daniel's cher à Sinatra! Warren Beatty s'y révèle comme le cador à jamais mythifié de l'un des chorus les plus effrénés de l'histoire du 7e art.

Lilith de Robert Rossen et Mickey One d'Arthur Penn (Sortie en DVD chez Wild Side). Coup de projecteur sur TSFJAZZ (12h30), ce mardi 18 février avec Frédéric Mercier, critique à la revue « Transfuge »