Vendredi 20 juin 2014 par Ralph Gambihler

Calcutta for ever avec Horace Silver...

Triangle, gong et clochettes de tambourin... Calcutta Cutie, c'est un peu le India Song d'Horace Silver. Mélodie féline, cymbales hypnotiques, le saxe et la trompette qui introduisent le thème avant les tourbillons du piano tour à tour langoureux puis swinguant. Et puis, via le solo de batterie, l'orage succédant à l'arc-en-ciel.

On ne cesse de réécouter cette tuerie depuis qu'Horace Silver est mort. La pièce avait été exfiltrée d'une session précédente pour venir combler l'immémorial Song for my Father que Blue Note grave en l'an 64. Le pianiste était en train de changer d'équipe. Sur Calcutta Cutie, les drums sont encore dévolus à Roy Brooks que ses baguettes voyageuses vont catapulter plus tard sur la planète Yusef Lateef. En attendant, le batteur accompagne Horace Silver dans son album le plus intime. On a beaucoup loué, et à juste titre, la musique rieuse, punchy, churchy et funky avant la lettre du pianiste aux standards argentés. Calcutta Cutie, c'est autre chose... On le devine alors plus introverti que sur Senor Blues, Sister Sadie et The Preacher...

Plus lunatique, également, alors qu'il songe à changer de quintette. Auprès de Miles Davis, déjà (sur l'album Walkin), il n'avait fait qu'un petit tour et puis s'en va. Juste histoire de l'aider à remonter la pente alors que le trompettiste était au creux de la vague. Horace Silver fonde ensuite les Jazz Messengers tout en pressentant qu'Art Blakey en sera un meilleur leader.

Dans sa maison rose et bleue de Malibu où le journaliste Thierry Piérémarti (qui écrit aujourd'hui dans Jazz News) le retrouve à la fin des années 90, Horace Silver ne voit définitivement plus grand monde. Thierry Pérémarti raconte ça joliment dans Visiting Jazz, son livre-culte d'il y a cinq ans.  "De temps à autre je sors avec un copain", lui lâche Horace Silver. Sinon, il reste en tête-à-tête avec ses professeurs spirituels, Satya Saï Baba et le Yogi Parmahansa Yoganada, dont les portraits sont dans le salon. "Silver, poursuit Pérémarti, compose sur une table pliante toute simple. Pas mal d'instruments pour effacer. 'Je ne suis pas Mozart, moi, je fais des erreurs', lâche-t-il dans un merveilleux sourire"...

Il a été aussi grand que Mozart. Dopées par cet "expressionnisme bluesy" dont parle Roland Guillon dans son Anthologie du Hard Bop (L'Harmattan), les compositions d'Horace Silver se chantent, se dansent, se sifflotent et, au détour d'un crescendo caribéen, vous disent soudainement, sans que vous ne vous en soyez aperçu, que voilà, vous êtes au coeur du jazz et que Senor Silver vous en a ouvert en grand la porte d'entrée. Vous êtes prêt, dés lors, pour le grand voyage. Vous êtes prêt pour Calcutta Cutie.

Horace Silver (2 septembre 1928-18 juin 2014)