Vendredi 1 août 2014 par Ralph Gambihler

Sils Maria

Lui en co-scénariste, elle comme actrice. Olivier Assayas et Juliette Binoche se sont d'abord trouvés en 1985 dans le bien nommé Rendez-Vous d'André Téchiné, véritable curseur dans l'oeuvre du cinéaste. Caméra sauvageonne et démon aux tripes, Téchiné délaisse alors un certain formalisme que Patrick Dewaere avait déjà cisaillé dans Hôtel des Amériques. Il trouve surtout en Binoche le tempérament qui va lui permettre de se lâcher jusqu'à J'embrasse pas et Les Roseaux Sauvages. Juliette ou la clé des songes ? La chair à vif, plutôt...

André Téchiné, depuis, a perdu la flamme tandis que Juliette Binoche est devenue Juliette Binoche. Unique, prodigieuse, définitive. Et Olivier Assayas dans tout ça ? Disons qu'il a évolué entre deux feux. Tantôt pyromane, tantôt feu follet... Un coup d'essai-culte baptisé Désordre, L'Enfant de l'Hiver en guise de récidive incandescente (et injustement méconnue...), un parcours générationnel semé d'emprunts à la culture rock mais aussi une tendance à la pose, une rétention façon Téchiné avant Rendez-Vous, voire un certain vernis académique dont le récent Après Mai fut l'indigent symptôme.

L'aérien Sils Maria et ses paysages montagneux survolent ces deux versants. Juliette Binoche y incarne une comédienne rejouant la pièce qui l'a révélée autrefois tout en changeant de personnage. Non plus la Lolita déclenchant la tempête sur son passage mais la femme mûre que la jeune perverse pousse au suicide. Passer de l'une à l'autre soulève évidemment des questions, surtout lorsqu'on répète son texte avec une assistante dont l'attitude est aussi ambigüe que les personnages de la pièce. Film sur les identités troubles, les rôles qu'on ne peut plus tenir et ceux qui nous attendent -référence assumée à Persona d'Ingmar Bergman- Sils Maria insiste aussi sur ce qui reste de l'enfance de l'art quand tout s'accélère (Internet, Twitter...), se miniaturise et s'étale sur Google et YouTube.

On atteint là un niveau de densité et de maîtrise formelle qui rend le film magnifique. Reste, en même temps, un soupçon de rigidité et de ce qui persiste, d'un point de vue presque sociologique, à ornementer l'univers d'Olivier Assayas. Est-ce tout à fait un hasard si le personnage principal donne, au début du film, une interview à France Inter ? Discourant en anglais tout au long du film, Juliette Binoche en est à la fois l'inspiratrice et l'impératrice.

Sauf qu'il y a bien, encore une fois, deux Assayas dans la façon de diriger les interprètes et qu'à la gravité parfois surexposée de la comédienne fait étrangement écho le jeu moins ficelé de deux jeunes actrices formées à l'école des blockbusters: Kristen Stewart dans le rôle de l'assistante et surtout Chloé Moretz en nouvelle Sigrid (Le personnage de la Lolita dans la pièce)... On ne la connaissait pas, à vrai dire, cette Chloé qui dynamite la mise en scène d'Assayas. En la croquant du regard, en voyant comment ce corps bouge à l'écran, on a comme le vague souvenir d'une certaine Juliette Binoche, il y a bientôt 30 ans, devant la caméra d'André Téchiné.

Sils Maria, Olivier Assayas, sélection officielle au festival de Cannes, sortie en salles le 20 août.