Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer
Pas très intime, cette soirée d'anniversaire qui constitue l'ossature centrale de L'Idiot de Dostoïevski, du moins dans la relecture qu'en fait le désormais incontournable Vincent Macaigne. Démesurée, harcore, carnassière, la fête tourne au vinaigre. Ou plutôt à l'huile d'olive, puisque c'est l'un des multiples ingrédients dans lequel se vautrent les personnages, outre le sang, la boue et la mousse carbonique.
L'anniversaire en question est celui de Nastassia Philippova que son riche père adoptif a enfin consenti à marier après avoir longtemps abusé d'elle. Par l'odeur du vice et de l'argent alléchés, de bien tristes sires vont ainsi graviter autour de la demoiselle qui elle-même n'a rien d'une sainte Nitouche, surtout lorsqu'on la voit maculée comme la pire des dépravées. Mais c'est bien d'elle que va s'éprendre le pur et christique Prince Mychkine auquel s'est tant identifié Dostoïevski lorsqu'il s'agissait de dézinguer les codes de la bourgeoisie russe du 19e siècle. Et pourtant, dans cet "Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer !" que Vincent Macaigne retravaille cinq ans après sa création, le spectateur se trouve "dérangé", d'une certaine manière, par le Mychkine étrangement fagoté (surtout avec son short ridicule !) qui s'agrippe au plateau.
Il est vrai que Pascal Reneric, tout en lui donnant superbement vie avec des élancements limite fanatique, n'a pas tout à fait le même style que Gérard Philipe dans la célèbre adaptation cinématographique du roman. C'est peut-être dans ce que le personnage a d'aussi inquiétant que se dessine la mélancolie qui est celle aujourd'hui de Vincent Macaigne. La soif de pureté est revue à l'aune de la désillusion. Les postes de télé qui, à l'entracte, rediffusent le débat Hollande/Sarkozy, accentuent encore d'avantage le côté livide des logorrhées que tentent les personnages sur le socialisme, le capitalisme ou le libéralisme.
L'acteur est d'abord un cri, martèle Macaigne (et le théâtre une immense suée, une longue course où l'on n'arrête pas de se casser la gueule pour mieux se relever, un grand mix de rage, de bastons, de harangues et de chansons de Nirvana...), mais face à la souillure qui prolifère de partout, le cri a-t-il encore un avenir ?
La 2e partie de la pièce, qui revisite les protagonistes de l'anniversaire 15 ans après, parait plus décousue -peut-être parce qu'elle est moins marquée du sceau du collectif-que la première. Elle n'en est pas moins enchâssée de poignantes déclarations et autres solos rugissants et agonisants, tel du Tchekhov cocaïné... "Même si jamais je ne serai cet homme noble et fort et bon et aimant qu’il aurait fallu être pour que tout ça ne soit pas si long et si chiant, et si sombre, je vous ai aimés, mon Dieu, comme je vous ai aimés", lance Hippolyte, le phtisique suicidaire. Ce n'est pas du Dostoïevski, certes, mais qu'est ce que c'est dostoïevskien !
"Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer !", d'après l'Idiot, de Fedor Dostoïevski. Au Théâtre de la Ville, à Paris, jusqu'au 12 octobre, dans le cadre du festival d'Automne, et du 4 au 14 novembre aux Amandiers à Nanterre.