Samedi 22 novembre 2014 par Ralph Gambihler

Mônica Passos au Studio de l'Ermitage

C'est à nous, à présent, d'aller en pèlerinage à l'Ermitage. D'écarquiller grand les yeux sur la diva rouge, la chasseuse de "brésilianades", la défroquée du jazz qui en réveille pourtant tout le potentiel d'invention, de rage et de fantaisie. Cela fait deux ans que Mônica Passos est en résidence dans la jolie salle de Ménilmontant. Au coeur de ce Paris populo qui garde encore les stigmates de la Commune, notre Louise Michel des tropiques exulte, déferle, s'enflamme. Ivresse du chant et de la furie citoyenne que cette Rabelais en jupon vocalise un verre à la main. Le "tavernier" du coin, comme elle dit, a intérêt à suivre...

Première partie très éclectique. Poing levé, elle reprend Sonho Impossivel, l'adaptation par Chico Buarque de La Quête de Jacques Brel. "Rêver, un impossible rêve"... Un pur miracle, ensuite. Celui des poissons, en l'occurrence, avec la reprise du Milagre Dos Peixes de Milton Nascimento (On n'avait pas réentendu ce chef d'oeuvre depuis l'album brésilien des frères Belmondo en 2008...), suivie de quelques tubes comme Guantanamera et Hasta Siempre que Mônica Passos réarrange sans jamais affadir.

Après l'entracte, le ton est plus mélancolique, au gré de plusieurs chansons révolutionnaires brésiliennes auquel font écho, presque naturellement, le poignant Alfonsina y el Mar de la chanteuse argentine Mercedes Sosa et le souvenir non moins intense de Léo Ferré. Quelle émotion que de réentendre Avec le temps et surtout La Mémoire et la Mer sur un rythme de samba brésilienne, en souvenir de l'album Lemniscate paru il y a six ans !

Politiquement, évidemment, on n'est pas dans l'évanescent, comme l'indique d'ailleurs l'intitulé du projet, Vermelhino, qui signifie "tout rouge". Sauf que l'art de Mônica Passos se situe bien au-delà de la vieille agit-prop pour électeurs mélenchonistes harassés. Ses tracts, elle les swingue, jouant de l'ironie, passant d'une idée à l'autre à la vitesse de la lumière. On ne capte pas tout de ses harangues et confidences, mais on adore lorsqu'elle encourage son public à aller explorer le web pour accéder aux vérités non dites: "Envoyez moi un SMS, je vous renverrai des links!"

L'essentiel est peut-être ailleurs, ne serait-ce que dans cette gymnastique vocale, cette élasticité des octaves... Dans la jungle capitaliste, Mônica Passos cavale de liane en liane, et cela lui va à merveille. Surtout quand on joue aussi collectif. Au côté de la pythie des faubourgs, Marc Berthoumieux met de la joie dans son accordéon, des percus euphorisantes et des sons de guitare flamenca ou kabyle instillent le parfum du grand voyage, Manu Domergue déambule avec son mellophone tandis que les fidèles complices de l'EDIM (l'école de jazz de Cachan), Daniel Beaussier aux instruments à vent et Marc Madoré à la basse et à la  guitare 12 cordes, encadrent la photo de groupe avec doigté et assurance.

Soirée pleine de fougue et de générosité, donc... On en ressort vers les 1 heure du mat' fourbu, encanaillé et convaincu d'avoir assisté à un spectacle hors normes, voire même hors-jeu au sens où l'entendent les entreprises de spectacle et de diffusion traditionnelles. Raison de plus de ne pas oublier la divine, la déjantée et l'incendiaire Mônica Passos, messieurs les directeurs de festival qui vous piquez d'aventure et d'esprit de folie, si vous voulez vraiment mettre le feu dans vos salles.

Mônica Passos, Vermelhino, Studio de l'Ermitage, à Paris (C'était mercredi dernier 19 novembre)