Jazz, 100 ans de légende (Coffret DVD)
"Parfois, un grondement fantomatique se fait entendre dans les percussions, un murmure asthmatique dans les trombones, qui me renvoie au début des années 20 quand on buvait de la gnôle et que chaque jour, partout, tout allait de mieux en mieux"... C'est avec ce type de citation empruntée à un certain F. Scott Fitzgerald, et avec en arrière plan Creole Love Call de Duke Elllington, que le pari de Ken Burns est gagné.
Le lien entre la note bleue et son environnement immédiat (on est en 1929, au moment du krach...), la force de ce qui est lu, le morceau choisi pour incarner cette nostalgie du Jazz Age, la voix magnétique du narrateur, Keith David, déjà aperçu dans Bird, de Clint Eastwood, où il jouait un rival de Charlie Parker... Qui dit mieux pour s'initier à la fabuleuse odyssée du jazz ? C'est en 2001 que cette série, initialement baptisée Jazz, est diffusée sur la chaîne PBS. Avec Wynton Marsalis comme conseiller artistique, Ken Burns déploie, sur dix épisodes d'environ deux heures, toute une armada de photos, de vidéos et de témoignages pour démontrer en quoi cette musique est intimement liée à l'Amérique, au même titre que le base-ball et la Guerre de Sécession auxquels le documentariste a également consacré des séries conséquentes.
Dédiée principalement à Louis Armstrong et Duke Ellington, Jazz consacre également une place importante à Benny Goodman, Billie Holiday, Charlie Parker et John Coltrane. On y croise aussi, bien sûr, Miles Davis décrit comme un "innovateur impatient et acharné", ou encore ce "jeune baryton maigrichon" qui deviendra Frank Sinatra. Sur le fond comme sur la forme, on est conquis. Avec pour ligne de force l'idée d'une musique fondée par des Afro-Américains livrés à l'esclavage et à la ségrégation dans une terre de soi-disant liberté et contraints du même coup à "improviser" leur sort, Ken Burns contextualise les étapes les plus marquantes de l'histoire du jazz.
Ainsi en va-t-il de la Grande Dépression où, "comme si c'était un médicament, les Américains achetaient 700 000 disques de swing par mois". Même pertinence quant au style, avec le fameux "effet Ken Burns" consistant à créer le mouvement en zoomant sur les photos. Comme l'explique le réalisateur dans le making-of intégré au coffret DVD, il s'agit d'écouter et pas seulement de regarder une photographie tout en déterminant, comme pour un long-métrage, si on en fait un plan large, un gros plan ou un plan de coupe. Difficile, en même temps, de ne pas déceler ce que l'emprunte de Wynton Marsalis a d'indéniable dans cette vision du jazz centrée sur la Nouvelle-Orléans et dans laquelle quelqu'un comme Ornette Coleman apparaît sous un profil démoniaque.
On pourra aussi noter que les noms de certains musiciens majeurs comme Fats Waller et Keith Jarrett ne sont jamais cités tandis que d'autres (Chet Baker, Stan Getz, Oscar Peterson...) sont réduits à l'état de vignettes... Le vieux règlement de comptes avec le Miles Davis électro des années 70 surprend moins. Après tout, cela fait aussi partie de l'odyssée de la note bleue, cet antagonisme Miles/Wynton... Elle est en tout état de cause infiniment précieuse, cette présence de Marsalis surtout quand, avec son visage de poupon, il mime à lui seul tout l'orchestre de Count Basie.
De quoi donner à cette série son authenticité toute subjective, certes, mais aussi gorgée d'ampleur, de sensualité et de moments poignants, à l'instar de la mort de Charlie Parker avec, notamment, le visionnage de l'émission qu'il regardait au moment où il est passé de vie à trépas. Comment, enfin, ne pas adhérer aux derniers mots du narrateur: "Le jazz se renouvelle chaque soir. Les voix du passé restent ses meilleurs professeurs" ?
Jazz, 100 ans de légende, Ken Burns, sortie en DVD (The Corporation) le 2 décembre. A suivre, sur TSFJAZZ, Les Lundis du Duc, ce 1er décembre à 19h, en direct du Duc des Lombards, avec pour invités le réalisateur Bertrand Tavernier et le journaliste et commissaire d'exposition Vincent Bessières.