Samedi 6 décembre 2014 par Ralph Gambihler

Mr Turner

Jaune chromé, blanc de plomb, bleu outremer... Aussi subtil dans les couleurs dont il passe commande que frustre et abrupt dans son comportement, William Turner retrouve chair devant la caméra de Mike Leigh. Campé par l'étonnant Timothy Spall, le génie des lumières noie sa part d'ombre sous les grimaces, rictus et autres borborygmes.

Mais c'est d'abord le peintre au travail que filme le réalisateur anglais. Turner est un artiste de terrain. A la vue d'une locomotive en vapeur, il pense tout de suite peinture. Il va même jusqu'à se faire attacher en haut d'un mât pour faire entrer dans un tableau la force d'une tempête. Dense et copieux, ne serait-ce que dans sa durée (2h30), Mr Turner confirme en tout cas la grande classe de Mike Leigh.

Encore une fois, on trouvera parfois le trait quelque peu appuyé, éventuellement raide en certains endroits, sans compter une entrée en matière poussive et laissant craindre l'enlisement dans le biopic académique et indigeste. Sauf que les qualités habituelles du réalisateur de Another Year sont toujours au rendez-vous: capacité à "peindre" des personnages forts et émouvants (Turner himself, mais aussi ses femmes, veuve dynamique ou alors domestique au visage ingrat...), maîtrise formelle indéniable à laquelle fait écho une palette visuelle à la hauteur du sujet traité, récit architecturé avec minutie et intelligence...

Mike Leigh réussit également fort bien son rendu de l'Angleterre Victorienne tout en évitant la plate reconstitution. On touche là à ce que le film a de meilleur. Replaçant un artiste solitaire dans la société qui l'entoure, Mike Leigh donne à voir sa force de rébellion et son anticonformisme. Derrière le grincheux, le subversif... Défiant les membres de l'Académie qui lui préfèrent un rival, Turner balance un crachat de rouge au milieu d'une toile marine. Autour de lui, on se gausse... Jusqu'au moment où la tâche se transforme en bouée de sauvetage. De quoi relire l'oeuvre du sous-estimé Mike Leigh sous l'angle de ces bouées qu'on ne sait pas voir.

Mr Turner, Mike Leigh, prix d'interprétation masculine à Cannes. Le film est sorti mercredi.