Jeudi 11 décembre 2014 par Ralph Gambihler

Le Misanthrope de la Bastille

Castagnes, baisers fougueux, clopes, whisky et musique techno... Une troupe de jeunes comédiens s'empare de l'une des plus belles pièces de Molière pour en donner, avec l'aide d'une romancière à succès (Alice Zeniter), une version à la fois énervée et cool. On reçoit cela comme une coupe de champagne même si, après coup, on se souvient surtout des bulles.

Pas question, en même temps, de prendre ce travail de haut. Le Misanthrope de la compagnie Kobal't, mis en scène par Thibault Perrenoud, explore avec bonheur le potentiel de proximité avec le spectateur qu'offre le théâtre de la Bastille. Le dispositif en tri-frontal accentue la mobilité des comédiens et la complicité avec le public. Sans perruque mais avec un immense respect du texte, la troupe s'autorise en même temps un impromptu savoureux dans le 2e acte qui ne choque en aucune manière. Les scuds d'autrefois, qui visaient les courtisans du Roi, laissent naturellement place aux ragots d'aujourd'hui sur les acteurs et les metteurs en scène contemporains.

Et Marc Arnaud campe un Alceste qui a du coeur et de l'allure. Sa mise à nu, au sens littéral du terme, fait habilement écho à la solitude révoltée du personnage et à sa libido intermittente que vient souvent recouvrir sa rage contre les conformistes et les hypocrites. Il n'y a pas que la libido, d'ailleurs, qui est placée, ici, sous le règne de l'intermittence. C'est leur monde, après tout. C'est leur époque... Quand le 17e siècle s'invite à la Bastille, on installe juste quelques chaises et deux tables avec chips et gobelets en guise de mini-apéro.

On aurait aimé, pourtant, une Célimène mieux cernée. On se souvient encore de la gouaille guerrière de Norah Krief dans la version si décapante qu'en avait donnée Jean-François Sivadier. Ce n'est quand même pas rien, Célimène, dans la pièce de Molière ! Nocive et vénéneuse, douée au final d'une authenticité meurtrière, c'est bien elle, le personnage principal de la pièce, surtout lorsqu'on sait que c'est Armande Béjart qui, la première, lui avait donné corps et visage... Bon, ce n'est pas avec le Misanthrope de la Bastille qu'on creusera d'avantage le mystère de celle qui ne veut dans aucun désert aller "s'ensevelir". Restent les éclairs de jeunesse, la spontanéité d'une troupe, son sens du rythme, son plaisir de jouer, sa fidélité d'esprit à ce qui continuera à nous enflammer le coeur de génération en génération... Ce n'est déjà pas si mal.

Le Misanthrope, de Molière, mis en scène par Thibault Perrenoud avec la compagnie Kobal't, dramaturgie Alice Zeniter (Au théâtre de la Bastille jusqu'au 20 décembre)