Jeudi 1 janvier 2015 par Ralph Gambihler

Soumission

Michel Houellebecq excelle dans l'existentialisme culinaire. Surtout quand il ironise sur la mode des sushis, s'étonnant du "consensus universel autour de cette juxtaposition amorphe de poisson cru et de riz blanc". Son fantasme des "femmes pot-au-feu" grâce auxquelles les plaisirs de la table conjurent l'usure des corps peut aussi, éventuellement, faire sourire. Sur la viande halal, en revanche, on craint le pire...

L'Islam. Le sujet le taraude, on le sait, ne serait-ce qu'au souvenir de cette "putain névrosée" (sa mère, traitée avec toujours autant d'élégance...) autrefois convertie. D'où ce scénario de politique-fiction consistant à imaginer l'élection, en 2022, d'un président musulman dont le parti s'est qualifié de justesse au second tour face au FN avant de bénéficier du soutien de l'UMP, du PS et de l'UDI. Cauchemar à la Zemmour ? Pas vraiment...

Plus malin que le nain hystérique qui voit tous les jours la guerre civile à nos portes, Houellebecq imagine, au contraire, l'acceptation "tacite et languide", par un système démocratique à bout de souffle, d'un pouvoir islamiste capable de pacifier le pays et de le débarrasser du chômage grâce à la sortie volontaire des femmes du marché du travail suite à une hausse spectaculaire des allocations familiales. François Bayrou gère l'intendance depuis Matignon et Bruxelles est aux anges, ne serait-ce qu'à la perspective de voir les dépenses sociales fondre de 85%, la solidarité étant prise en charge par la cellule familiale.

Si originale soit-elle, cette compatibilité entre Coran et néo-libéralisme n'occulte pas des aspects plus glauques: les jupes qui n'ont plus le droit de cité, l'école qui s'arrête à 12 ans, la polygamie qui vient guérir la crise sexuelle du mâle contemporain et ses besoins de chair fraîche... C'est là où Houellebecq vient insidieusement nourrir la fantasmagorie islamophobe du moment jusqu'à transformer Marine Le Pen en icône républicaine citant Condorcet.

"Trop souvent, écrit le romancier, on voit s'effilocher, au fil de pages qu'on sent dictées par l'esprit du temps d'avantage que par une individualité propre, un être incertain". Ainsi s'effiloche et s'étiole Michel Houellebecq, à l'instar de son personnage principal, un prof de fac aux goûts littéraires abscons (quel ennui, ces Huysmans, Bloy, Guédon et autres auteurs oubliés !), adepte de retraites mystiques plus ou moins avortées et qui digère difficilement sa rupture avec une pimbêche pro-israëlienne n'ayant plus rien à voir avec la poignante Olga de La Carte et le territoire...

Il reste évidemment quelques (rares) bonheurs d'écriture, des "saillies" tordantes ainsi que la possibilité de prendre tout cela comme une fable recyclant "gentiment" le nihilisme à la Droopy dont se prévaut l'auteur. Sauf que dans la période politiquement purulente que nous traversons, on n'a pas trop le coeur à la fable... Juste l'envie de se rappeler que la littérature, elle aussi, est un sport de combat. Juste le besoin de se désinfecter de Michel Houellebecq.

Soumission, de Michel Houellebecq (Flammarion). En librairie le 7 janvier.