Feathers
On a encore en mémoire les premières fêlures de son spleen new-yorkais, l'hiver passé... Nous étions repartis sur Paris, il était resté là-bas. C'est trépidant, Big Apple, sauf quand votre moral dégringole autant que la température. La ville vous casse alors en mille morceaux. Ce disque, cette histoire, Thomas Enhco y a effectivement laissé des "plumes"...
D'où Feathers, qui tient à la fois de la cicatrisation et de l'orchestration d'un chagrin amoureux, ou alors d'un traité de guérison de la solitude par le solo. Avec en appui un romantisme assumé, un art de la fugue rodé auprès des grands anciens (Brahms, Schubert...) et surtout un son de piano tout chaud, tout rond, pas du tout éthéré. On craignait l'épanchement, et c'est la fougue qui est au rendez-vous.
Deux longs morceaux -ou plutôt deux fresques- en traduisent la quintessence. The Last Night of February, en premier lieu, où tout un choeur semble marcher sur le fil, où les larmes rugissent (et puis elles tombent...), où la douceur est au bout de la douleur. Sand Creek Sound, ensuite, composition plus guerrière, plus éclatée, faisant écho à une tragédie amérindienne. Plusieurs instruments, dirait-on, sont en embuscade sur ce clavier non tempéré. Des violoncelles, des cuivres... "Tout un jeu d'éclairages pour piano en 3D", disait récemment Thomas Enhco sur TSFJAZZ, ou encore un monde de "pure sensation au niveau des textures, des formes, des climats, des couleurs..." (Interview dans Jazz Magazine).
On croise aussi dans ce disque une eye-conversation à la fois délicate et imprudente avec une maman-élan (Looking for the Moose), une espièglerie structurée tout en finesse (Mischievous) et un thème de déjeuner sur l'herbe (I'm fine, Thank You) qui, accolé à un post-scriptum "schumannien", clôt de la plus belle des manières ce qui est très certainement l'album de piano solo de plus abouti depuis A Fable d'un certain Tigran Hamasyan.
Feathers, Thomas Enhco (Verve). En concert le 7 mai au Théâtre du Châtelet, à Paris.