Dimanche 17 décembre 2017 par Ralph Gambihler

Jean-Charles Tacchella. Mémoires

Cousin Cousine, mais aussi Croque la vie, Escalier C ou encore Travelling Avant vu le jour de mes vingt ans. À l'instar de Claude Sautet,  Jean-Charles Tacchella a fait battre les cœurs de plusieurs générations de cinéphiles. Il a lui aussi filmé "les choses de la vie", simplement, finement, lumineusement, aux antipodes de toute cruauté ou lourdeur psychologique. Délit de mollesse ? "Ce qui m'intéresse, réplique-t-il au contraire dans ses Mémoires qui valent de l'or, c'est la fantaisie de nos différences".

Sa vie ressemble à ses films. Galères et enchantements. Le père dirige une compagnie maritime à Marseille. À la Libération, une fausse dénonciation l'envoie six semaines derrière les barreaux. D'où cette éternelle défiance du fils face à certains emballements collectifs. Poignant chapitre sur Corinne Luchaire. Plus tard, il signera le scénario du film maudit de Jean Dewever, Les Honneurs de la Guerre, vision si peu manichéenne de la fin de l'Occupation dans un village de France. Il a mis du temps à passer de journaliste pour L'Écran Français à scénariste, et encore d'avantage à devenir réalisateur. Projets avortés, avances sur recettes refusées... Même après Cousin, Cousine et son triomphe américain, il lui faut parfois vendre ses meubles pour se renflouer entre deux films.

Avec minutie et sans pathos, la plume en dit long sur le quotidien d'un cinéaste trop hors-mode et hors-bande pour les "professionnels de la profession". Moins ingrat, Jean-Charles Tacchella sera aux premières loges pour défendre le cinéma français face à l'hégémonie américaine, notamment à la direction de la Cinémathèque.

Ces mémoires ont aussi valeur d'épitaphe. Tous ces amis disparus, à commencer par Maurice Ronet, le compagnon si proche des nuits parisiennes. Le sourire revient au travers d'une foison d'anecdotes. Yves Montand sachant à peine nager sur le tournage des Héros sont fatigués dont Tacchella fut le scénariste, le baiser à distance de Judy Garland depuis sa Roll's Royce, John Wayne alcoolisé invitant le narrateur à danser dans une boîte tenue par Régine. "Son humour devait être ravageur", écrit pudiquement l'auteur comme pour mieux contenir les envies de décryptage d'une telle séquence...

900 pages au total, et il manque... On aurait tant aimé en savoir plus, par exemple, sur ces rencontres avec Billie Holiday lors de son ultime tournée parisienne... L'ouvrage tient en même temps largement ses promesses puisque Jean-Charles Tacchella est toujours resté ce conteur décalé, discret, sensible et essentiel, transformant ses souvenirs en féérie du quotidien et offrant par la même occasion un document irremplaçable pour tous les cinéphiles.

Jean-Charles Tacchella. Mémoires. (Éditions Séguier).