Vendredi 2 février 2018 par Ralph Gambihler

Peninsular

Un trompettiste à succès en a fait l'amère expérience, le croisement entre jazz et rythmes orientaux fleure bon l'hérésie dans certains milieux. C'est comme si le Eastern Sounds de Yusef Lateef n'avait jamais existé. On aimerait penser que le pianiste Tarek Yamani, dont l'approche, pour le coup, parait plus angulaire, ravive de meilleurs sentiments. Pas sûr, comme en témoigne le silence d'une revue comme Jazz Magazine sur ce qui est pourtant le meilleur album de ce début d'année.

Son titre ? Peninsular, 3e opus d'un natif de Beyrouth basé à Harlem et bifurquant vers Dubaï où ce disque a vu le jour. Il s'agit, ici, d'entrelacer les chromatiques new-yorkaises et la musique khalidji, cette Mecque rythmique -ou cette rythmique pas loin de La Mecque, comme on veut- qui tranche avec les mélopées du Levant. On y entend en tout cas  d'avantage l'Afrique, comme en écho à la transhumance des descendants d'esclaves emmenés dans la Péninsule arabo-persique et créant une myriade de courants musicaux dont Tarek Yamani jazzifie les saveurs.

Avec d'entrée de jeu des  sonorités envoûtantes, magnétiques (Indisar, adapté d'un rythme qatari), puis une rafale de quarts de ton sur clavier électrique pour une rumba arabique dont le titre, Halala Land, sonne comme un savoureux pied de nez aux mièvreries de Damien Chazelle... La 3e plage, Samrias, est un pur bonheur, notamment quand le pianiste déploie à la main droite des arabesques qu'il essaime d'effluves flamenco aussi surprenantes que parfumées. Plus loin dans l'album, c'est un sample saoudien qui flirte avec un cha-cha cubain et des vocalises bédouines.

Chez Tarek Yamani, décidément, le désert abolit toutes les frontières, avec en renfort la mélancolique contrebasse d'Elie Alfi sur le si beau Gate of Tears et l'énergie tout aussi indispensable de deux percussionnistes et d'un batteur sur le morceau éponyme de l'album. On l'aura compris, dans les eaux mêlées de l'East River et du Golfe Persique, c'est bien un world-jazz entendu nulle part ailleurs qui berce et aère nos tympans.

Peninsular, Tarek Yamani (Edict Records), concert au New Morning, à Paris, le 19 mars