Capharnaüm
Rarement vu un tel gouffre entre l'idée de départ et son accomplissement. Focus sur Zaïn. Dans un Beyrouth décharné, ce gamin des rues dépose plainte contre ses parents pour l'avoir mis au monde. De par sa radicalité même, le propos pourrait amorcer un Los Olvidados tout en rage, un uppercut sec et implacable en pleine poire d'un monde qui se repaît de misère et d'exploitation.
Nadine Labaki, dont le Et maintenant on va où ? recelait déjà de directions bien incertaines, s'est fourvoyée dans d'autres effets de style. Il lui faut pour cela charger la barque, bringuebaler son Gavroche de Thénardier en Fantine et changer la nationalité de la dite Fantine pour en faire une Éthiopienne sans papiers retranchée dans un taudis avec son bébé afin de ne pas être expulsée. La métaphore hugolienne se poursuit lorsque Zaïn doit lui-même s'occuper du petit mioche, tel Gavroche -encore lui- flanqué de deux gamins dont il ignore qu'ils sont aussi ses frangins.
C'est à cet instant que le film bifurque vers l'indécence. Ce n'est pas tant les recettes tire-larmes déployées par Nadine Labaki qui nous accablent, mais plutôt la manière toute tartuffienne avec laquelle elle filme les deux gosses: côté pile, le procédé archi-usé de la caméra à l'épaule; côté face, l'esthétisation rampante. Ils sont si beaux, si mignons, si attendrissants... On est en plein dépliant publicitaire, façon les "chtites n'enfants" à l'époque des Guignols de l'Info.
C'est le sens même du propos qui, peu à peu, nous échappe. À quoi bon cette séquence malsaine où l'on se demande si le bébé ne va pas se faire écraser dans la rue ? Et ces fameux "parents terribles" englués dans leur misère et leur vénalité, pour quelles raisons la réalisatrice élude-t-elle leur histoire tout en laissant à un moment la mère dire : "Vous ne pouvez pas me juger si vous n’avez pas vécu ce que j’ai vécu"? Mais non, Labaki n'est pas là pour épiloguer sur d'éventuelles circonstances atténuantes, et encore moins sur le système qui fabrique des odyssées aussi désespérées. Ainsi vogue son "capharnaüm" de pensées confuses et de traumas préfabriqués.
Capharnaüm, Nadia Labaki, Prix du Jury à Cannes (Sortie ce mercredi)