Ça raconte Sarah
Ça raconte une tornade, des yeux couleur absinthe et des bains de magnolias. Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard file à la vitesse de la fièvre pour évoquer la passion entre deux femmes: la narratrice, gentillette prof de lycée qui ne fait pas de vagues, y compris lorsque le père de sa fille l'abandonne, et Sarah, violoniste gorgée d'excès et d'une sensualité qui n'appartient qu'à elle.
C'est la première partie du roman, et c'est la meilleure, au-delà d'un préambule qui suggère, par la suite, des humeurs plus morbides. Sarah est impossible, Sarah est essentielle. "Après la première nuit, être loin d'elle devient une aberration". En faire un roman, c'est perdre pied et façonner le style qui va avec. À peine le lecteur pressent-il le panneau "cliché" que la romancière l'envoie valdinguer ailleurs. Les pages tourbillonnent sur le mode crescendo, ou alors tombeau ouvert. Le genre de roman qu'on dévore sans ceinture de sécurité.
Et puis c'est le coup de frein. Brutal. On était si bouillant, à Paris, et voilà que Pauline Delabroy-Allard nous délocalise à Trieste, qui rimerait presque avec tristesse. Sarah a disparu. Cancérisée ? Assassinée ? C'est la narratrice, désormais, qui monopolise l'attention, nous embarquant dans son exil, son désarroi et une certaine forme de folie, comme un archet dissonant. Le lecteur, alors, s'éloigne peu à peu de cette toute seule qui n'a plus de portefeuille ni de téléphone portable et qui se met à écouter Schubert toute la journée. Même si le quatuor lui convenait mieux qu'un quartet, Sarah swinguait tellement plus allègrement.
Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard (Éditions de Minuit)