Vendredi 9 novembre 2018 par Ralph Gambihler

Après la répétition

Et si le syndrome de l'usure corrodait ceux qui semblaient le moins lui donner prise ? Distanciation, dépouillement, improvisation... Orfèvres en la matière, les Flamands du collectif tg STAN ne ressortent pas tout à fait indemnes du centenaire de la naissance d'Ingmar Bergman décliné à travers trois spectacles depuis septembre au Théâtre de la Bastille.

Passons rapidement sur L'Atelier, cet impromptu aussi fascinant que saugrenu. Sur scène, trois zigotos ne décrochant pas un mot (Damiaan De Schrijver, co-fondateur de tg Stan, Matthias de Koning et Peter Van den Eede, émissaires de deux collectifs voisins) s'efforcent, justement, de "faire scène" avant même de faire théâtre. Leurs mines impassibles surnagent dans un bric-à-brac de planches et de caissons, tel un vaisseau fantôme où divers ustensiles feraient office de spectres. Le lien avec le réalisateur de Persona n'est pas évident, ou alors ce serait un Bergman dadaïste, penchant pour le moins méconnu de l'austère Suédois, sauf pour de facétieux Flamands.

Terrain plus familier avec Infidèles qui insère des extraits de l'autobiographie de Bergman dans un scénario porté à l'écran par l'une de ses muses, l'actrice et réalisatrice Luv Ulmann. Paradoxalement, c'est dans l'ultra-classicisme de ce qui nous est raconté -une comédienne écartelée entre son mari chef d'orchestre et son amant cinéaste- que le collectif instille au mieux son savoir-faire et sa capacité à émouvoir. Les comédiens "abordent" au sens littéral du terme leurs personnages, le jeu de rôles se mêle à l'intime, Bitches Brew de Miles Davis voisine avec des opus d'Arthur Rubinstein et une nouvelle venue, Ruth Becquart, apporte à la troupe un salutaire souffle d'air frais.

La troisième proposition, Après la répétition (que Bergman avait tourné pour la télévision), fonctionne aussi sur une greffe extérieure: Georgia Scallet, jeune sociétaire de la Comédie Française, donne la réplique à Frank Vercruyssen qui, comme dans Infidèles, campe un metteur en scène -de théâtre, cette fois-ci. Son personnage de mentor mature retenant ses coups comme sa libido, on a hélas l'impression de le connaître par cœur. Même automatisme dans le jeu du comédien avec ses poses d'ours mal léché et sa manière de faire semblant de trébucher sur une phrase. Oxymore cruel pour tg STAN, on peut parfois cabotiner dans la désincarnation. I

ll y a elle, heureusement. Lumineuse et incandescente, fatale et innocente, toute en intériorité façon feu d'artifice, aussi prodigieuse en jeune interprète brut de décoffrage que dans la peau de sa mère également comédienne mais passablement plus abîmée. Une pure Georgia On My Mind, cette Georgia Scallet ! De quoi rendre provisoire, on l'espère, le coup de fatigue de nos Flamands préférés.

Après la répétition, tg STAN, Théâtre de la Bastille, à Paris, jusqu'au 14 novembre. -.