The Dream Thief
C'était au printemps 2012. Au faîte de sa popularité, Avishai Cohen signait Duende, album tout en douceur et mise à nu avec Nitai Hershkovitz, pianiste alors inconnu rencontré dans un bar de Tel-Aviv. Au même moment, le claviériste attitré du contrebassiste israélien, Shai Maestro, s'émancipait avec un premier disque bien plus bariolé, à la fois fluide et énergique sans pour autant dégager une ligne claire. La suite de sa discographie devait être du même avenant: exaltation du power trio, emprunts à la pop ou aux chants traditionnels, zigzags sombres et romantiques, détours électro... On savourait tout en s'interrogeant: où était le vrai Shai Maestro ?
Et si The Dream Thief, toujours dans ce registre du mezzo voce et de l'âme à nu, était le Duende de Shai Maestro? Lui fallait-il ainsi absorber avant de s'absorber en croisant sur son chemin le patron du prestigieux label ECM, Manfred Eicher? ECM, on le sait, c'est une matière autre -"le plus beau son après le silence", disait-on naguère- mais aussi une antre de liberté et d'explorations dont le fondateur en chef ne débroussaille que les méandres, sans formats pré-définis. Juste quelques discrets conseils pour que l'artiste soit au diapason de l'espace qu'il entend sculpter.
Résultat: un album à la fois épuré et captivant dans ses textures narratives, depuis la reprise d'une composition du chanteur israélien Matti Caspi (My Second Childhood) jusqu'à ce What Else Need to Happen? emprunt d'une poignante gravité, un discours de Barack Obama sur le contrôle des armes à feu se glissant entre les notes avec une magie comparable à celle d'Oliver Nelson convoquant la voix de JFK dans The Kennedy Dream. Une autre plage en solo, Choral, peut-être le plus beau morceau du disque, nous imprègne pareillement de son toucher cristallin.
Les morceaux en trio sont ciselés avec autant d'éclat et de délicatesse. La musique respire comme jamais sur The Forgotten Village ou encore Lifeline. Jorge Roeder à la contrebasse et le jeune Ofri Nehemeya à la batterie (où il a remplacé Ziv Ravitz) rivalisent ainsi en tempos aérés et en ambiances hypnotiques, aussi à l'aise dans un registre "musique de chambre" que sur une gamme plus enfiévrée à l'instar de New River, New Water dont la partie piano, à la toute fin du morceau, nous emporte vers des sommets de lyrisme. Shai Maestro, il n'y a pas à dire, est tout sauf une erreur de casting dans le catalogue ECM. Sans doute peut-il même se permettre, désormais, de tutoyer Keith Jarrett.
The Dream Thief, Shai Maestro (ECM)