Compagno Bertolucci...
Mort d'un pestiféré. Célébré pendant plusieurs décennies comme l'un des géants du cinéma italien, Bernardo Bertolucci, à l'instar de Roman Polanski, aura fini par incarner le déshonneur.
Collision d'époques. Ils étaient si peu, dans les années 70, à questionner les soubresauts cachés de la libération des mœurs. Une jeune comédienne trop mutine pour être prise au sérieux devait en ressortir définitivement abîmée. C'est pourtant bien après sa disparition, et de manière parfois fort opportune, que les nouveaux codes du bien et du du mal feront de Maria Schneider un étendard.
Désolé, encore une fois, de ne pas rentrer dans les bonnes cases. Désolé de célébrer à jamais la féline et la poignante héroïne du Dernier Tango à Paris sans pour autant renier celui qui devait la mythifier tout en l'humiliant dans les affres d'une scène de viol simulé. De quoi brûler la pellicule du film ? Ce serait oublier qu'à l'époque, escortée par le saxo déchiré de Gato Barbieri, son interprète enflammait déjà cette même pellicule comme si, après Brigitte Bardot, non plus Dieu mais un drôle de diable italien voulait encore recréer la femme.
Au cinéma comme dans d'autres arts, pourtant, les diables font souvent des merveilles, et c'est peut-être à partir du moment où il cessa de l'être -disons à partir du pompeux et multi-oscarisé Dernier Empereur, que Bertolucci commença à décliner. Auparavant, et avec en renfort ce marxisme toujours aussi baroque au pays de Gramsci et de Pasolini, il fut pour des générations de cinéphiles l'incarnation d'un art visionnaire et tumultueux, constamment à l'affût de nouvelles formes et ancré dans ce que les rapports entre l'individu et la société peuvent avoir de plus tourmenté.
Il en résulta un diamant noir et vénéneux, Le Conformiste, un mélo freudien gorgé de rage poétique, La Luna, et surtout un monument épique, 1900, à jamais associé à cette séquence hallucinante où ce facho de Donald Sutherland lâche:"Regardez comment on traite un communiste !", avant d'écraser un chat d'un coup de tête... Transgressions et abandons, consciences en lambeaux, quêtes charnelles à l'ombre des barbaries contemporaines... Par-delà tous les piédestaux moraux et autres indignations en vogue, ce cinéma-là est inscrit dans notre patrimoine. Addio compagno !
Bernardo Bertolucci, 16 mars 1941-26 novembre 2018.