Le Misanthrope (des Possédés)
La rencontre n'allait pas de soi. Alors que la fluidité organique qui leur tient d'ADN a toujours touné le dos à une certaine forme de théâtralité, Les Possédés s'attaquent à l'alexandrin. Rude défi qui répond sans doute à une vraie soif d'écriture depuis que le leader de la troupe, Rodolphe Dana, s'est livré il y a quelques années à une relecture vivifiante de Proust et Céline.
Il s'agit donc de versifier, cette fois-ci, mais à la façon des Possédés. Ne pas se laisser hypnotiser, surtout, par l'alexandrin, mais le dompter, le chevaucher (au trot ou au galop...), le torsader, le syncoper. Passées ainsi dans le mixeur, les césures "molièresques" donnent au malheureux Alceste un côté encore plus déboussolé, lui qui se veut allergique à toutes les séductions de la Cour, sauf à celles qu'exerce sur son cœur la plus courtisane des courtisanes (mais aussi la plus libre...), la trop craquante Célimène.
Quel singulier Misanthrope ! Non content de tripatouiller l'alexandrin jusqu'à le rendre parfois peu audible, le collectif emmené par Rodolphe Dana fait également feu de tout bois du lustre versaillais censé enrober les personnages. On serait plutôt, ici, dans un Versailles fin de monde, fétide, sombrant dans une pénombre mortifère, lorgnant vers la farce macabre et grouillant de pantins grotesques au verbe creux et dispendieux. Leurs culottes bouffantes disent bien ce qu'ils sont: des bouffons !
La troupe a gommé à bon escient quelques loufoqueries en trop qui émaillaient les premières représentations, jusqu'à rappeler d'ailleurs certains ratages passés. L'ensemble reste néanmoins fragile faute de véritable souffle, même si Rodolphe Dana campe un Alceste saisissant, surtout lorsqu'il ajuste la perrusque à ses sourcils broussailleurs. La pièce, malheureusement, souffre de la comparaison avec d'autres relectures du Misanthrope d'avantage indexées sur une certaine fraîcheur ou bien autrement plus décapantes.
Le Misanthrope, de Molière, mis en scène par Rodolphe Dana et le collectif Les Possédés. Au Monfort Théâtre, à Paris, jusqu'au 1er février.