Vendredi 1 février 2019 par Ralph Gambihler

Si Beale Street pouvait parler

L'amour noir, celui qui soude Tish et Fonny au-delà des rêves d'émancipation déjà brisés dans le Harlem des années 70, imprègne le nouveau film de Barry Jenkins comme il irriguait le récit de James Baldwin que le réalisateur de Moonlight porte à l'écran. Un roman au féminin singulier, pas forcément raccord avec la rage du célèbre écrivain afro-américain telle que la revisitait Raoul Peck dans I Am Not Your Negro. Il est vrai que le seul activisme de Tish, la narratrice, semble être celui du cœur.

Jenkins veille à retranscrire cette intensité amoureuse avec une palette expressionniste (chromatisme chatoyant, ralentis, beauté des acteurs, sensualité musicale convoquant Blue in Green de Miles Davis et Velvet Scene de John Coltrane...) qui vaut fidélité d'une certaine manière à l'œuvre originelle. Y compris dans sa dimension politique comme si, à ce point exalté, l'amour noir faisait partie du Black Power. Comme si, face au racisme, face à la désespérance, face à cette accusation de viol qui tombe comme un couperet sur le valeureux Fonny, la romance devenait l'arme ultime.

Une arme de Blancs, au sens classique et hollywoodien du terme, mais qui fait office, ici, d'étendard pour une toute autre cause. Ce parti-pris esthétique qui dépasse l'esthétisation ne va cependant pas sans risques. Sur une constante ligne de crête entre élégie et mièvrerie, Barry Jenkins trébuche parfois sur un scénario assez basique et des personnages en mal de complexité même si leurs contours cristallins peuvent les transfigurer. À ce titre, l'écrin bleu et subtropical de Moonlightbien moins ornementé, certes, présentait des qualités d'émotion supérieures avec en renfort une articulation autrement plus fine entre cheminement intime et environnement social.

Si Beale Street pouvait parler, Barry Jenkins (le film est sorti mercredi)