Un tramway à Jérusalem
Puisque les urnes israéliennes ne contiennent plus désormais que les cendres d'une paix défunte, il ne nous reste plus qu'à prendre un tramway à Jérusalem avec Amos Gitaï comme guide mordant et chaleureux. Le temps d'un film, le réalisateur israélien réunifie une cité-mosaïque, transforme un tramway en utopie, mélange les joies et les peines, les Juifs et les Arabes, les résistants et les endoctrinés, le rap palestinien et la clarinette de Louis Sclavis. On n'a rarement vu un huis clos (en mouvement, certes..) abattre autant de murs.
Soyons sincères: dans ses premières stations, ce tramway n'emprunte pas forcément les bons rails. Pippo Delbono et son remake pasolinien de la Passion du Christ, Mathieu Amalric dans la peau d'un touriste français relisant une lettre de Flaubert lorsqu'il était lui-même de passage dans la Ville Sainte... Les paupières s'alourdissent face à une tonalité si lourdement littéraire.
C'est lorsqu'Amos Gitaï se sent plus quotidien, pour reprendre le fameux mot de Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort, que le film respire autrement. D'Est en Ouest et des quartiers arabes au Mont Herzl, une cohue de trajectoires à visage humain multiplie les tonalités. Le politique et l'intime s'entrelacent, un soldat de Tsahal pressent son cocufiage imminent, des Juifs orthodoxes se veulent résolument aveugles au paysage à travers les fenêtres, une Palestinienne dotée d'un passeport hollandais se fait harceler par un agent de sécurité alors même qu'elle fait un brin de causette avec une jeune Israélienne...
C'est tour à tour tendre, cocasse, percutant, inquiétant. N'y voir qu'un essaim de vignettes superficielles relève de la paresse d'observation. Gitaï organise au contraire ses fragments de vie en architecte, sa caméra insuffle du circulaire au sein d'une même unité de lieu. Même dans les situations qui peuvent apparaître comme les plus anecdotiques, sa mise en scène traduit avec brio et sensibilité ce cocktail d'énergie, de tensions et de bourdonnements à vif qui saute aux yeux lorsqu'on découvre Jérusalem.
La réapparition d'Amalric vers la fin du récit en est le parfait condensé. Engageant la conversation avec un couple d'Israéliens, il s'extasie sur le climat et la beauté de Jérusalem. Ses interlocuteurs acquiescent, mais ils préfèrent parler, eux, de la valeureuse et exceptionnelle grandeur d'âme à leurs yeux de l'armée israélienne. Malaise. Dialogue de sourds... "Mais qu'avez-vous contre notre armée?", lâche soudainement l'élément féminin du couple... La tête d'Amalric à ce moment-là et son sourire figé, c'est vraiment Amos Gitaï tel qu'on l'adore.
Un Tramway à Jérusalem, Amos Gitaï (en salles depuis le 24 avril)