Quand Fellini rêvait de Picasso
Deux génies, deux monstres sacrés, deux références, chacun dans son propre champ artistique. En rapprochant Federico Fellini de Pablo Picasso, la Cinémathèque Française propose une rencontre d'autant plus fascinante qu'elle n'a jamais eu lieu. L'Italien et l'Espagnol se sont frôlés, des amis communs ont essayé de les mettre en contact, ils ont pu partager une année les mêmes marches du festival de Cannes, mais le trait d'union est resté en pointillés.
Sauf dans les rêves de Fellini qu'il va retranscrire par le dessin à la demande de son psychanalyste. Ces carnets constituent le levier de l'exposition. L'homme de Guernica y apparaît comme une figure bienveillante, vêtu de manière champêtre, servant une omelette au cinéaste et à sa compagne, Giulietta Masina. Il lui arrive aussi, toujours dans les rêves de Fellini, de jouer au maître-nageur, guidant en haute mer le réalisateur des Nuits de Cabiria. Pablo ou la double clé des songes : aîné fraternisé au sein d'une même famille, mais aussi bouée de secours en période de crise.
La troisième clé découle des deux premières: si Picasso s'est incrusté dans l'univers onirique de Fellini, il ne pouvait que l'inspirer dans son œuvre. Les femmes, le cirque, les bordels, l'Antiquité... Croquis du maître et toiles du maëstro convoquent le visiteur à un passionnant jeu de miroirs. Moins plantureux que la marchande de cigarettes d'Armarcord ou les Amazones de La Cité des Femmes, l'imaginaire féminin de Picasso puise pareillement dans l'étrangeté et l'asymétrie, nourrissant une fantasmagorie de créatures aussi inquiétantes que désirables. Le continent-femme, comme le formule la Cinémathèque, les deux artistes l'ont arpenté, chacun à leur manière.
L'oreille bercée par les B.O. de Nino Rota, le visiteur replonge également dans ses souvenirs: Claudia Cardinale, Anouk Aimée, la fontaine de Trevi, Marcelo Mastroianni... Savent-elles, les générations d'aujourd'hui, que de Fellini le dictionnaire tira un adjectif, "fellinien" ? Mais non, c'est à croire que ce cinéma-là s'est évaporé, comme les fresques du métro dans Fellini Roma. Grâce soit rendue à la Cinémathèque, même en se raccrochant à un Picasso qui, lui, reste indémodable, d'avoir redonné forme et formes à l'une des constellations les plus essentielles du 7e art.
Quand Fellini rêvait de Picasso, Cinémathèque Française, jusqu'au 28 juillet. Coup de projecteur sur TSFJAZZ, le jeudi 16 mai (13h30), avec la commissaire de l'exposition, Audrey Norcia.