Letter to a Friend in Gaza
Gaza, ce point d'arrivée... Avant cela, avant que ne se succèdent en fond de plateau ces photos géantes de jeunes enragés défiant Tsahal à la frontière avec Israël, Amos Gitaï nous aura offert un oratorio multimédia: des textes, des voix, des extraits de films ou de reportages sur grand écran, des musiciens sur le plateau. Parmi eux, le clarinettiste Louis Sclavis, collaborateur de longue date du réalisateur israélien.
Ainsi se déploie Letter to a Friend in Gaza, adaptation scénique d'un moyen-métrage que l'auteur de Kadosh avait présenté l'an passé à la Mostra de Venise. Paradoxalement, la dimension cinématographique de l'ensemble paraît avoir été renforcée sur les planches de l'espace Cardin du Théâtre de la Ville, à l'instar du prologue vidéo qui revient sur l'épopée biblique de Massada telle que la décrivait Flavius Josèphe dans La Guerre des Juifs. C'était cela, le point de départ: un peuple rebelle et martyr, du sang et des cendres, longtemps avant le trou noir de la Shoah. Après, c'est devenu plus compliqué...
Après, il y a cette longue table en rectangle, sur scène, faiblement éclairée. Au centre, face au public, Makram J.Khoury, un acteur arabe israélien. À ses côtés, sa fille, Clara Khoury. Ils nous restituent, tous les deux, la prose du poète palestinien Mahmoud Darwich."Où me mènes-tu père ? - En direction du vent, mon enfant". Autre extrait: "Quand tu rentres à la maison, ta maison, pense aux autres. (N'oublie pas le peuple des tentes.)". À l'autre bout de la table, la comédienne israélienne Yael Abecassis enchaîne sur un article-couperet de sa compatriote, la journaliste d'Haaretz Amira Hass : "Peut-être qu'un jour viendra où de jeunes Iraéliens-pas un ou deux, mais une génération entière- demanderont à leurs parents : comment avez-vous pu ? ».
L'écoute compte autant que le texte. Assise de profil lorsqu'elle prête l'oreille à ce que dit son père, Clara Khoury se retrouve face à nous dans l'image vidéo au-dessus d'elle qui retranscrit son regard, comme si un nouvel espace émotionnel se superposait au placement des comédiens. Même tonalité poignante dans les yeux de la comédienne israélienne quand ses partenaires récitent du Darwich. L'hébreu et l'arabe alternent, la clarinette rode à nouveau, des images de tanks et de nature sauvage se succèdent à l'écran, et Amos Gitaï se prépare lui-même à monter sur scène.
Il est de dos, timide, résolu. Il relit la fameuse Lettre à un ami allemand d'Albert Camus, en 1943, cette lueur dans la nuit, ce dialogue imaginaire avec l'autre, l'ennemi qui ne le sera peut-être pas éternellement, l'autre qui prône la grandeur de son pays, Camus qui lui répond que la justice est plus importante que la grandeur. Il faudra bien se parler, un jour. Il faudra bien trouver un sens à tout cela. Il faudra bien la paix, entre Allemands et Français, ou alors entre d'autres peuples réputés inconciliables. C'est à ce moment-là, donc, que défilent au fond de la scène les photos géantes sur Gaza qui s'embrase. Et nous, dans la salle, nous ne sommes plus que colère et larmes.
Letter to a Friend in Gaza, Amos Gitaï. En hébreu, arabe/surtitré en français. Jusqu'au 7 septembre à l'espace Cardin du Théâtre de la Ville, à Paris.