Sorry We Missed You
Ubérisation, auto-entreprenariat... Bâtir un vrai scénario de cinéma à partir de notions aussi abstraites (bien qu'elles aient des conséquences redoutablement concrètes...) n'est pas à la portée de tout le monde. Ken Loach relève le défi avec brio. Sorry We Missed You n'a peut-être pas autant de souffle que Moi, Daniel Blake mais par ces thématiques, la palme d'or 2016 présentait moins de difficultés de mise en scène.
Les deux films, en tout cas, témoignent d'une reconfiguration salutaire au regard d'une œuvre jusqu'à présent inégale. Sur la lancée de son opus précédent, Ken Loach privilégie ce que son récit a d'implacable sans détourner l'attention du spectateur par des diversions plus ou moins malvenues. Sans pathos, il plonge Ricky, un livreur résolu à se mettre à son propre compte, dans les eaux glacées de la nouvelle économie.
Rythmes inhumains, risques accrus... Ricky se tue à la tâche pour distribuer les colis à temps. Ses supérieurs au sein de la plateforme de livraison où il bosse ont beau se la jouer cool, c'est un tout autre visage qu'ils présentent lorsque l'employé qui se voulait modèle ne remplit plus son contrat. Le foyer familial du personnage principal ne peut évidemment pas résister à ces nouvelles formes d'exploitation. Surtout lorsque l'élément féminin, une aide-soignante à domicile, est pareillement confronté aux horaires décalés et salaires de misère. Les enfants encaissent eux aussi plein pot l'aliénation vécue par leurs parents.
Où sont passés l'esprit de lutte, la ferveur de l'action collective, la solidarité des exploités? Photos d'époque, celles qu'une vieille dame, ancienne cantinière de mineurs en grève, montre à Abby, la femme de Ricky. Le film retrouve ensuite sa ligne droite et sèche, même si le final est bouleversant.
Sorry We Missed You, Ken Loach, Cannes 2019, sortie en salles ce mercredi 23 octobre.