Vendredi 22 novembre 2019 par Ralph Gambihler

Nous pour un moment

Des personnages en pointillés, sans nom et uniquement définis par les relations pour le moins instables qui les unissent... Ainsi pourrait-on résumer l'étrangeté minimaliste d'Arne Lygre, un auteur norvégien contemporain visiblement expert en phénoménologie. Après Claude Régy, qui l'a fait découvrir en France en 2007, c'est désormais Stéphane Braunschweig qui en est l'ambassadeur: trois pièces déjà portées sur scène sans pour autant nous laisser un souvenir impérissable. Pas sûr que la quatrième tentative soit la bonne.

Il est vrai que cette nouvelle pièce va encore plus loin dans la distanciation. Les interprètes ponctuent leurs dialogues par des "disais-je" ou des "je pense" tandis que les comédiennes passent d'un personnage féminin à un personnage masculin. L'écriture d'Arne Lygre se double ainsi d'une dimension ludique inédite même si ce qui nous est conté n'a rien de bien joyeux.

Ruptures, accidents, suicides, maladies, agressions... Les séquences qui s'enchaînent tournent autour d'un mal-être généralisé. L'autre peut épisodiquement être un appui, mais il ne tarde pas à devenir l'ennemi. La plus conviviale des conversations dérive brutalement en règlements de comptes. Une manière, pour Arne Lygre, de souligner la pluralité fugace de nos identités et les équations pleines d'inconnues qui les taraudent. Attention, chemins escarpés. Rien de bien charnel, ici. Plutôt des esquisses de narration trop fragmentées pour qu'on s'y attache véritablement.

À un tel niveau d'abstraction, la mise en scène de Stéphane Braunschweig tente un éclairage intéressant en immergeant ses comédiens dans une sorte de vie aquatique. À mi-mollet, une eau brumeuse ralentit leurs mouvements, et quand derrière eux les panneaux se lèvent, c'est tout le plateau qui prend l'allure d'une pataugeoire à peine divertie par des camaïeux de plus en plus sombres. Le principal risque, évidemment, pour le spectateur, est de se laisser engloutir.

Nous pour un moment, d'Arne Lygre, mis en scène par Stéphane Braunschweig, aux Ateliers Berthier de l'Odéon jusqu'au 14 décembre.