La Tempête qui vient
"Le jazz le plus discordant, c'est notre voix", balance l'un des personnages. On ne peut mieux résumer l'impression que laisse ce deuxième volet de la fresque monumentale que James Ellroy a décidé de consacrer à sa ville fétiche, Los Angeles, durant la Seconde Guerre Mondiale. Si le premier tome, Perfidia, éblouissait par sa combustion romanesque, La Tempête qui vient fonce à tombeau ouvert. Le style Ellroy carbure toujours à l'explosif, mais sur un canevas d'intrigues qui s'emberlifotent assez vite.
Après Pearl Harbor, le déluge. On voit bien comment à travers une pluie diluvienne de Nouvel An 1941-42 qui provoque à la fois un accident et un glissement de terrain décisifs dans la suite du récit, Ellroy tente de redémarrer la machine. En vain. L'Histoire, avec sa majuscule, avec aussi ces internements de Japonais qui formaient tout l'arrière-plan tragique de Perfidia, n'a plus le même parfum. La découverte d'un corps à Griffith Park fait remonter le souvenir d'un braquage de lingots d'or, deux inspecteurs sont retrouvés morts rongés à l'hydrate de terpine (un dérivé de la morphine...) tandis que Dudley Smith, le flic damné du premier tome, file droit vers le burn-out au Mexique où il s'éparpille entre trafic d'héroïne, exploitation d'immigrés clandestins et combat contre cette fameuse Cinquième Colonne qui obsède tant Ellroy...
À tel point qu'il l'enrobe de ses préoccupations politiques du moment. Si Perfidia ciblait avant tout les nazillons de tout bord pullulant contre Roosevelt, La Tempête qui vient creuse un hypothétique axe rouge-brun qu'on pourra trouver quelque peu saugrenu sur une période où quelqu'un comme Churchill comparait le combat de l'Armée Rouge à "la cause des hommes libres et des peuples libres partout dans le monde". La lucidité politique reprend cependant le dessus lorsque dans les dernières pages, le romancier célèbre la Symphonie Leningrad de Chostakovitch et sa "détermination féroce" instillée chez les survivants.
On aurait aimé d'aussi belles pages sur le jazz, surtout au regard d'une écriture aussi syncopée. Pas de chance, les clubs cités ont pour nom Port Afrique ou Club Zombie, on y trouve à la fois des brochures hitlériennes, des magazines pornos et des cadavres embêtants tandis qu'un saxophoniste homo "coiffé en cul de canard" fait figure de principal suspect. Tout ça se termine dans un bain de sang au Taj Mahal, un autre night-club tout aussi interlope où ce que l'on entend n'est pas de la musique, mais "du ragoût de bruit". De quoi inspirer à Duke Ellington une "Suite du carnage du Taj", plaisante dans son journal Kay Lake, la délicieuse chasseresse de Perfidia transformée ici en pipelette. Vous avez dit jazzophobie ?
La Tempête qui vient, James Ellroy (Editions Rivages/Noir)