L'Apollon de Gaza
C'est trop beau -ou trop dingue- pour être vrai. Au large de Gaza, autrement dit l'enfer sur terre, une statue en bronze d'Apollon, dieu des arts, de la poésie et de la beauté, surgit des eaux en août 2013. Branle-bas de combat chez les archéologues, potiers et autres trafiquants d'art. Vestige authentique ou manipulation de faussaires ? Signe de Dieu ou alors nouveau pied-de-nez à un peuple de parias ? Les spéculations n'ont pas le temps de s'éterniser puisque la statue disparaît mystérieusement, quelques mois plus tard...
On imagine ce qui a traversé l'esprit de Nicolas Wadimoff lorsqu'il a eu vent de cette affaire. À deux reprises, déjà, ce réalisateur suisse s'est attaché au sort des Palestiniens. D'abord en filmant les pourparlers de paix malheureusement sans suite de Genève en 2003, puis en chroniquant, dans Aisheen, le Gaza dévasté de l'après décembre 2008 suite à une incursion israélienne. Le documentaire s'ouvrait sur la question d'un enfant: "Elle est où, la cité des fantômes ?"... Soudain, un autre fantôme: Apollon. Avec lui, il est enfin possible de relier Gaza à son passé millénaire, d'en parler à travers les divinités, de l'inonder de soleil et de lumière...
Et puis aussi d'en faire le lieu d'une énigme fascinante, entre Umberto Eco et Les Aventuriers de l'Arche Perdue. Sauf qu'il n'est pas forcément prudent, à l'ombre du Hamas, de jouer à Indiana Jones. Qui a mis la main sur Apollon ? Des islamistes définitivement fâchés avec la représentation des idoles ? Une branche armée avide de monnayer la statue quand les circonstances s'y prêteront ? Entre bouches cousues et espoirs fous, c'est un autre Gaza, celui qu'on ne voit jamais à la télévision, qui fantasme sur la beauté des bustes anciens, même si cette beauté reste de l'ordre de l'empêchement, même si la statue ne pourra peut-être jamais être montrée au grand jour.
En attendant, Apollon fait vibrer Fadel, le jeune restaurateur d'amphores, Heyam Al-Bitar, la femme archéologue du ministère des antiquités, Jawdat Khoudary, le collectionneur qui croit dur comme fer au miracle du bronze non corrodé, ou encore les dominicains de l’École biblique et archéologique de Jérusalem qui imaginent déjà l'éphèbe statufié passer par-dessus les blocus et réconcilier Israéliens et Palestiniens. À chacun son Apollon, entre rêves et barbelés.
L'Apollon de Gaza, Nicolas Wadimoff (Sortie en salles ce mercredi 15 janvier). Coup de projecteur, le même jour, sur TSFJAZZ (13h30) avec le réalisateur.