Dimanche 26 janvier 2020 par Ralph Gambihler

Cuban Network

Le "réseau guêpe", vous connaissiez ? C'est un épisode saisissant des relations américano/cubaines qu'Olivier Assayas exhume dans Cuban Network. Au début des années 90, alors que l'île castriste est au bord de l'effondrement suite à l'explosion du bloc soviétique et que le mouvement démocratique Concilio Cubano est durement réprimé, le régime envoie des espions en Floride en les faisant passer pour des opposants. Leur mission ? Infiltrer les milieux anti-castristes de Miami pour déjouer des projets d'attentats contre des infrastructures touristiques de La Havane. La CIA siffle la fin de la récréation en 1998. Au terme d'un long procès, cinq agents écopent de lourdes peines de prison.

Même s'il s'était déjà bien dépaysé en 2010 avec Carlos, on n'attendait pas Olivier Assayas dans ce registre, lui dont la flamme semblait s'être tarie dans un intimisme de bon aloi (Sils Maria) pimenté d'expérimentations plus ou moins navrantes (Après Mai, Personal Shopper). Le thriller lui réussit mieux, surtout lorsqu'il en saborde tous les codes. Car si le flash-back explicatif qui survient au premier tiers du film lui sera reproché par bien des experts du genre, la texture narrative qui l'enrobe, complètement en rupture avec ce qui précède, donne au film une tournure aussi hybride que captivante. Même joyeuse hérésie dans l'art, ensuite, d'élargir la focale en multipliant les personnages tout en en sacrifiant d'autres qui semblaient davantage mis en avant, jusqu'à resserrer le propos sur le couple campé par Edgar Ramirez et Penelope Cruz.

Cette liberté de ton qui s'attache d'avantage aux comportements qu'à la psychologie des personnages n'exclut pas des prouesses de mise en scène, à l'instar de la séquence de l'attentat dans un hôtel cubain montée façon 24 heures chrono. Tout aussi attachante, la manière avec laquelle le réalisateur capte l'atmosphère et l'âme cubaine, entre droiture morale, attachement à un pays au-delà de son régime et sens du sacrifice alors même que les aléas de l'idéologie mettent à mal le destin d'un couple. À la fois vaillante et déchirée, Penelope Cruz campe ici avec beaucoup de niaque une authentique femme du peuple.

En à peine deux minutes d'archives, Fidel Castro lui vole pourtant la vedette. Lorsqu'il résume à sa manière l'épilogue de cette incroyable odyssée en s'amusant  de voir "le pays qui espionne le plus au monde accuser le pays le plus espionné d’avoir envoyé des espions sur sol américain", le spectateur ne peut qu'acquiescer au côté jubilatoire du propos. Olivier Assayas aurait-il signé à son insu un thriller pro-castriste ? Difficile de réfréner cette hypothèse, même si le réalisateur ne fait pas l'impasse sur la maltraitance et l'humiliation d'une population soumise par ailleurs à un embargo impitoyable.

Cuban Network, Olivier Assayas. Sortie en salles ce mercredi 29 janvier. Coup de projecteur, la veille, sur TSFJAZZ (13h30) avec le réalisateur.