Jeudi 30 avril 2020 par Ralph Gambihler

Le jazz confiné, est-ce encore du jazz ?

Le jazz confiné est-il encore du jazz ? Depuis le début de cette crise qui met les artistes à genoux, ces derniers s'efforcent de faire bonne figure. Plutôt que d'exprimer leur désarroi en mode complotiste (cela se voit aussi sur les réseaux, hélas, mais comment en tenir rigueur à ceux soudainement privés de leur raison d'être, avec toute la détresse matérielle qui va avec ?), ils postent des vidéos de concert à domicile avec les moyens du bord. Certains parviennent même à jazzer façon puzzle, un peu comme l'ont fait les solistes du Lincoln Center Jazz Orchestra de Wynton Marsalis avec Quarantine Blues, une composition qui vaut autant par la performance à distance que par la tentative de création collective, malgré tout.

C'est dans le même esprit que se tient ce 30 avril la Journée Internationale du Jazz. Le virus cloisonne, la note bleue reconnecte. Ce n'est que digital, ce n'est que "virtuel", mais il y aura bien d'une certaine manière un concert All Stars avec Herbie Hancock, inlassable apôtre auprès de l'Unesco d'un jazz de retrouvailles avant l'heure, puisant à même ses racines ce qui libère l'individu au-delà des frontières et chapelles de toutes sortes. Du jazz en ligne, donc, envers et contre tous. Jazz à la marge, diront certains pour qui cette façon de maintenir le lien avec le public n'est qu'artifice. Allons bon! Où est l'esprit du jazz quand son corps, ou plutôt quand ses corps sont absents, quand il n'y a plus de scène, de groupe sur scène, d'interaction ou de sueur sur scène et quand n'existe plus ce frisson du chorus tout en buvant un verre au bar ?

On en était là de nos interrogations lorsqu'on a passé un coup de fil au toujours passionnant Raphaël Imbert qui nous a préparé pour ce Jazz Day 2020 un "abécédaire du jazz en temps de confinement" qu'on pourra découvrir à 17h, aujourd'hui, sur le Facebook Live de Marseille Jazz des Cinq Continents. Il a sursauté, le saxophoniste et fondateur de la compagnie Nine Spirit, lorsqu'on lui a suggéré que le jazz confiné pouvait être aux antipodes du jazz tout court. Il a tiqué, évidemment, lui qui a réhabilité jadis, dans un ouvrage magnifique, les racines spirituelles de la note bleue. Elles sont à ses yeux aussi fondamentales que ses racines collectives. Et elles ont d'abord rapport avec l'individualité du musicien de jazz.

C'est tout le débat, finalement, avec cette musique. Pulsation ou chœur ? Exaltation de soi ou vécu de l'autre ? Transcendance ou auto-sabordage du soliste comme un certain Free Jazz s'en était gargarisé dans une vie antérieure ? On pourra toujours s'en tirer avec la pirouette: "Les deux, mon capitaine!", mais cela n'épuise pas la problématique. Surtout quand au bout du fil Raphaël Imbert nous rappelle l'épopée des enregistrements d'Alan Lomax en prison. L'ethnomusicologue s'y connaissait déjà en matière de blues "confiné" lorsqu'il faisait résonner derrière des barreaux la voix des sans-voix. Celle de Leadbelly, par exemple, croupissant au fond d'un pénitencier texan en 1936.

"Que joue-t-on, qu'est ce qui se joue dans ces moments-là", poursuit Raphaël Imbert ? "Tout simplement l'expression et la personnalité de l'individu. Cette tendance n'a pas été très documentée au départ parce qu'elle n'était pas très populaire, pas très marketing non plus, mais le jazzman ou le bluesman a toujours eu envie de jouer seul. Et ensuite, bien sûr, de jouer avec les autres"... Belle envolée, même si on est tellement pressé de réentendre et de revoir du jazz déconfiné.

Journée internationale du jazz, 30 avril 2020.