Mardi 12 mai 2020 par Ralph Gambihler

The Eddy (épisodes 1 et 2)

Développer une série sur le mode de la déambulation résume toute l'originalité de The Eddy, chronique d'un club de jazz du nord de Paris autour duquel gravitent errances, vagues à l'âme et désenchantements. Que le jazz en soit le cœur palpitant n'est pas pour déplaire, surtout quand autant d'espace (et tout le respect qui va avec) est offert à cette musique dans le scénario et la mise en scène, jusqu'à rendre parfois accessoire l'intrigue à proprement parler qui lui sert de support.

Damien Chazelle, qui signe les deux premiers épisodes de cette mini-série, a bien compris qu'il n'allait pas travailler ici une densité de récit qui lui avait si bien réussi dans Whiplash. Seuls les visages l'intéressent, à commencer par celui d'André Holland (révélé avec Moonlight) dans la peau d'un ex-pianiste new-yorkais reconverti en patron de club taiseux qui voit bien que sa chanteuse préférée n'est pas au top alors même que le public l'applaudit à tout rompre. C'est Joanna Kulig, bien plus poignante que dans Cold War, qui lui prête à ses traits à cette chanteuse et ex-maîtresse vulnérable à toutes les mélancolies. Les voir tous les deux élaborer un morceau en work in progress constitue l'un des premiers et beaux temps forts de la série.

C'est cela qui nous porte le plus dans ces premiers épisodes. Ces fragments de session, ces répétitions en live mais aussi ce spleen permanent de la note bleue dont Chazelle avait d'abord exploré le versant paroxystique dans Whiplash. Cette veine doloriste l'amène cette fois-ci à immerger ses personnages dans un vague canevas policier et criminel. Le club ne se porte pas comme un chat (il peut pourtant accueillir autant de monde qu'au New Morning...), ça magouille autour, le sang coule... Et puis on n'est pas vraiment à Saint-Germain-des-Près. Harlem sur Seine, dans The Eddy, c'est plutôt périph et HLM en 16 mm, caméra à l'épaule, grain atmosphérique expurgé de toute joliesse. Que du bonheur si on a détesté les illustrations sirupeuses de La La Land ! Et puis cette petite dette à John Cassavetes, elle sonne bien plus juste que l'hommage raté à Jacques Demy pour enrober la bluette Emma Stone/Ryan Gosling.

Il faudra d'autres épisodes et d'autres cinéastes hommes et femmes à l'œuvre pour savoir si tout cela tient bien debout. La partie franco-française de la série (Tahar Rahim, Leïla Bekhti, Benjamin Biolay...) est fragile. Le début du 2e épisode inquiète avec notamment une scène de danse sur un chariot qui sonne faux. La musique de Glenn Ballard n'est pas non plus d'une modernité folle même si l'énergie de Jowee Omicil et le "mood" de Lada Obradovic font plaisir à voir et à entendre. Beaucoup de pointillés, certes, mais l'émotion est bien présente. Comme dans le jazz, parfois, elle constitue en elle-même sa propre dramaturgie.

The Eddy, épisodes 1 et 2, Damien Chazelle, actuellement sur Netflix.