Slumberland en édition de poche
Un DJ afro-américain de Los Angeles à la recherche d'un mystérieux jazzman en Allemagne de l'Est au moment de la chute du Mur de Berlin... Autour de cette trame, Paul Beatty signait en 2009 un roman au groove infernal questionnant les limites, d'après l'auteur, de l'intégration de l'homme noir. Un certain Wynton Marsalis n'en ressortait pas indemne. Voici ce qui avait été bloggé à l'époque, alors que ce superbe récit ressort en poche aux éditions 10/18.
Son nom ? Paul Beatty... Inconnu au bataillon américain vu de St-Germain-des-Près, et pour cause: "Slumberland " est le premier roman à paraître en français de ce New-yorkais déjà auteur de cinq livres, parmi lesquels une anthologie de l'humour afro-américain dont la traduction relève désormais de l'urgence, au regard de tout ce que "Slumberland " rumine de réflexions tordantes sur la race, le sexe, l'Amérique, la musique en général et le jazz en particulier. Sous peine de passer pour un bloggeur sous amphét', on ne va pas trop s'embrousssailler dans le pitch de l'affaire, sauf à dire que le lecteur est ici invité à suivre les turpitudes berlinoises de Ferguson Sowell, un DJ black de Los Angeles qui tente de retrouver la trace d'un jazzman défroqué pour pimenter d'un riff parfait sa dernière trouvaille sonore.
Entre deux parties de jambes en l'air avec toutes les fraulen de la région, le camarade Ferguson parviendra à ses fins au terme d'un jeu de piste des plus fantasmagoriques dans le Berlin d'avant et d'après la chute du Mur. Avec le renfort de Wiki pour certaines références pré et post-esclavagistes et de YouTube pour la trame sonore du récit, l'embarquement dans "Slumberland " vaut vraiment le détour. Paul Beatty a la même faconde qu'un Dany Laferrière pour transformer l'Allemagne en "paradis de l'homme noir"... "Je me figeais tel un puceau de l'ère Eisenhower lors de sa première virée dans un claque de Tijuana", écrit le narrateur lorsqu'à peine débarqué au Slumberland, ce bar berlinois qui lui servira de QG, une Teutonne lui adresse illico un clin d'oeil aguicheur... "C'était le Berlin d'avant la chute du mur. Un hédonisme financé par l'Etat. Chaque aventure amoureuse d'un soir était une affiche de propagande pour la liberté démocratique et l'émancipation du tiers-monde ".
Changement d'angle, ensuite, lorsque l'Allemagne d'après la Réunification dévoile ses vieux démons. "La période d'après la chute du Mur, écrit Paul Beatty, m'évoquait la période de reconstruction de l'histoire américaine avec ses foules réclamant les lynchages et ceux qui se faisaient misérablement lyncher (...) Une nouvelle ère commençait; au lieu de se regarder le nombril, mon pays adoptif fixait ses grosses couilles historiques poilues"... Et puis il y a toutes ces tirades acérées sur l'identité afro-américaine et les clichés qu'elle véhicule. Il ne supporte pas, par exemple, Paul Beatty, qu'on fasse le lien entre le jazz et l'esclavage. "Pour survivre, écrit-il, les esclaves n'improvisaient pas. Ils capitulaient".
S'ensuivent quelques pages assassines sur le trompettiste Wynton Marsalis, symbole de ce jazz en costard-cravate qualifié de "négrescence narcissique " et que l'auteur oppose à son personnage de jazzman fictif dont le narrateur recherche la trace... "Je ne sais pas si oui ou non la musique de Wynton Marsalis est une allégorie de la race, de la démocratie américaine, ou du fascisme black, mais ce que je sais, c'est que la musique du Schwa, c'est l'anarchie. C'est la Somalie "... Picaresque à souhait, swingué dans une tornade post-funk free, cinglant de nervosité, d'inventivité et de grands éclats de rire, "Slumberland " s'impose d'ores et déjà comme le magistral roman groove de cette rentrée 2009.
Slumberland, Paul Beatty, réédition le 9 juillet aux éditions 10/18.