Les mal-aimants de Claude Sautet, 20 ans après...
Des mal-aimants qui ont le mal de vivre, la pluie qui accélère leurs émois (d'où le terme de "précipitations"...), des cafés pour les recueillir même si dans la cohue d'un troquet, un regard-chagrin peut encore plus vous dézinguer... Les grandes focales de Claude Sautet, 20 ans après sa disparition, n'ont rien perdu de leurs vibrations. Elles vous transpercent comme un solo de Lester Young, qu'il adorait.
"Il est têtu, sauvage, sincère et puissant. C'est le moins frivole d'entre nous ", disait de lui François Truffaut, pareillement taxé de cinéaste bourgeois au moment de La Peau Douce. Bourgeois, Claude Sautet ? Il va traîner cette casserole politico-sociologique une décennie durant, comme si la confusion existentialiste de ses personnages se résumait à la couleur sépia des années Pompidou et Giscard. Datées, la manipulation et l'obsession du contrôle de soi qui font aujourd'hui encore de Max et les ferrailleurs un modèle de film noir ?
Ce qui paraît davantage ancré dans l'époque -et c'est tout sauf un défaut- tient surtout à l'émergence d'une féminité émancipée. Romy Schneider lui prête un visage greffé dans nos mémoires, de César et Rosalie à Une Histoire simple où Sautet se transcende dans le genre choral, là où il avait trébuché avec Vincent, François, Paul et les autres. La réplique, décidément, lui réussit mieux. Michel Piccoli impressionne bien plus dans Max et les ferrailleurs que dans Les Choses de la vie, et lorsqu'a lieu ce fameux saut transgénérationnel qui a définitivement inscrit Claude Sautet dans notre ADN, autrement dit lorsqu'il s'est mis à rajeunir ses premiers rôles, il n'y avait pas photo entre Un Mauvais fils en 1980 et Quelques jours avec moi huit ans plus tard.
Un Mauvais fils est peut-être venu trop tôt. Sautet avait pourtant déjà dépassé la cinquantaine, et Patrick Dewaere faisait encore plus jeune en sacrifiant pour la première fois sa moustache, sauf que le film est parasité par la question du père. Il y a encore un vieux au premier plan -c'est Yves Robert- et il crève l'écran. Non, pour vraiment sonder des battements de cœur intra-générationnels et plus contemporains, il faudra attendre Daniel Auteuil, visage inédit d'une masculinité aussi douce que déchirante. Face à Sandrine Bonnaire puis Emmanuelle Béart, il se met en retrait, il hiberne ses sentiments, il se ferme comme une huître.
Peut-on être à la fois luthier et amoureux ? Avec Un Cœur en hiver, les bleus à l'âme sont encore plus frigorifiés. Dans Quelques jours avec moi, au moins, il y avait encore une légèreté, une extravagance. Bref, il y avait encore Jean-Pierre Marielle. Et puis aussi la plus belle des B.O offertes par Philippe Sarde à l'un de ses réalisateurs fétiches. Un Coeur en hiver, en revanche, restera à jamais un manifeste de désespoir. Ainsi Claude Sautet s'est-il "dévoilé jusqu'à l'effarement ", pour reprendre la belle formule d'Alain Cavalier, expiant à l'écran, disait-il, de ne pas avoir aimé certaines personnes suffisamment. Trop d'éruptions dans cette délicatesse ? Peut-être, lui qui se voulait aussi aérien qu'un solo de Lester Young.
Claude Sautet (23 février 1924-22 juillet 2000)