Samedi 12 septembre 2020 par Ralph Gambihler

Africa Mia

Au sortir de la nuit coloniale, l'Afrique n'était pas forcément condamnée au repli sur elle-même, aux guerres frontalières intestines et à la démocratie en berne. Avant Mobutu, il y eut Lumumba. Avant l'échec des décolonisations, sous d'autres tropiques et par-delà toute la largeur de l'Atlantique, une lueur brillait comme la fierté: Cuba, terre métisse, ex-colonie elle aussi et ancienne plateforme de la traite négrière, se libérait à peine de la tutelle nord-américaine. C'était là-bas, la lueur. Là-bas, le nouvel Eldorado.

Surtout pour ces dix jeunes étudiants maliens qui allaient former le groupe Las Maravillas de Mali  ("Les merveilles du Mali ") dont un documentaire musical en forme de quête, Africa Mia, rappelle la dimension à la fois lyrique et tragique. C'est le président malien de l'époque, Modibo Keita, un ami du Lider Maximo, qui leur offre en 1964 la possibilité d'aller suivre une formation musicale à la Havane aux frais du régime castriste. La bande exulte. Surtout quand Fidel et Le Che viennent en personne s'assurer que tout va bien pour eux.

Et comment que ça va bien ! Une villa de 200m2 avec cuisinière et chauffeur, la beauté des femmes cubaines, des maestros comme professeurs parmi lesquels Rafaël Lay, le leader de l'Orquesta Aragon... Las Maravillas, c'est d'abord l'épopée d'un rêve éveillé, jusqu'à ce tube, Rendez-vous Chez Fatimata, qui va cartonner dans toute l'Afrique. 1968. Le rêve s'écroule. Un coup d'État met fin à l'expérience panafricaine de Modibo Keita, la situation politique se tend à Cuba (elle était déjà bien crispée à Bamako avant même le coup d'État), et Las Maravillas devient peu à peu une franchise périmée.

C'est un Français, le producteur de musique Richard Minier, qui tente de recoller les morceaux quelques trente ans plus tard, en 1999. Il retrouve un à un les membres des Maravillas, sauf que certains d'entre eux ne sont déjà plus de ce monde. Des projets de reformation s'ébauchent, mais les financements ne suivent pas. Le temps passe. Bientôt, il n'en reste plus qu'un, Boncana Maïga, le chef d'orchestre. D'abord réticent face à la quête de ce Français fou d'Afrique, il se laisse convaincre et retourne en 2016 sur les lieux de ses premières pérégrinations. Retrouvailles poignantes. Car les Cubains, eux, contrairement aux Maliens, ont survécu pour la plupart d'entre eux.

On pense évidemment à l'aventure du Buena Vista Social Club, mais un Buena Vista avorté, lorgnant plutôt au final vers Sugar Man tout en ranimant au passage l'utopie d'un brassage des Afriques et des Amériques à l'aune de la musique et de la solidarité internationale. Musclés par l'apport d'Édouard Salier à la co-réalisation et les talents de l'historien Pascal Blanchard dans l'écriture et la contextualisation, Africa Mia nous emporte dans le rire et les larmes, ainsi que dans le souvenir toujours fécond d'une Afrique ouverte au monde.

Africa Mia, Richard Minier et Édouard Salier (Sortie en salles le 16 septembre). Coup de projecteur, la veille, sur TSFJAZZ (13h30) avec Boncana Maïga.