Le Blues de Ma Rainey cherche sa voix
Elle arrive en retard au studio, pas un mot d'excuse, mine renfrognée. Noire dans l'Amérique ségréguée, Ma Rainey est d'abord une insoumise lorsqu'elle enregistre en décembre 1927 quatre 78-tours pour le label Paramount à Chicago. Son manager blanc n'en mène pas large. Pas question de contrarier celle dont la voix est synonyme de jackpot pour les studios. Il lui fait pourtant comprendre qu'elle pourrait encore rapporter davantage, cette voix, si la chanteuse optait pour un blues moins cru, plus moderne, avec des morceaux moins longs... Ma Rainey envoie valser l'impétrant. Elle retarde la séance jusqu'à ce qu'on lui apporte une bouteille de coca-cola. Parenthèse de diva. Elle est déjà au bout du rouleau. De toute façon, les Blancs finissent toujours par imposer leur loi.
Bluffante Viola Davis dans le rôle d'une femme libre qui déteste le silence. Seule la musique, dit-elle, lui apporte un peu d'équilibre... La musique, mais aussi sa jeune amante du moment, Dussie Mae, ce caprice queer à la peau claire qui lui inspire un regard à la fois attendri et désabusé. Elle n'est pas dupe. Des histoires d'amour qui finissent mal en général, le blues en regorge, et la Dussie en question ne résiste pas bien longtemps aux avances du jeune trompettiste qui accompagne Ma Rainey tout en voulant voler de ses propres ailes.
Chadwick Boseman, dernier rôle... Le plus poignant, évidemment, surtout quand on saisit les démons mortifères qui taraudent ce personnage de musicien derrière son sourire goguenard. Il eut fallu un metteur en scène à poigne pour driver un peu mieux, peut-être, la force d'émotion de l'acteur dans ce qu'il savait être une prestation testamentaire. Ce n'est malheureusement pas le cas de George C.Wolfe. On comprend mal la raison pour laquelle Netflix et le valeureux Denzel Washington, co-producteur du film, ont fait appel à ce dramaturge de Broadway pour adapter ce qui était déjà au départ une pièce d'August Wilson.
Cette forme théâtrale atrophie malheureusement la force du propos tout en privant la B.O de Branford Marsalis de l'espace requis. On étouffe, nous aussi, dans ce studio, sans même pouvoir s'abreuver à des dialogues sur la condition noire parfois bien didactiques, voire datés, comme si Baldwin n'avait jamais existé. Même gêne lors de l'épisode du neveu bègue que la chanteuse veut imposer lorsqu'il s'agit d'introduire Ma Rainey's Black Bottom. À vrai dire, c'est l'ensemble du film qui cherche sa voix.
Le Blues de Ma Rainey, George C.Wolfe (Sur Netflix à partir de ce vendredi 18 décembre)