Mardi 16 février 2021 par Ralph Gambihler

J'ai vu naître le monstre (Twitter va-t-il tuer la #démocratie ?)

Ce sont des trolls macroniens qui ont eu sa peau. Dans sa traque aux intox et autres complotismes, Samuel Laurent avait déjà bien mouillé le maillot face à la droite extrême dans tous ses états avant de se confronter aux mélenchonistes et autres gloires professorales le taxant, à l'instar de Frédéric Lordon, de "sous-doué " emblématique d'une "dégradation intellectuelle du journalisme ". Rien à voir avec ce qui va lui tomber dessus lorsqu'il remet au clair, pour Le Monde, la pseudo-attaque de Gilets Jaunes contre la Pitié-Salpêtrière. Moins violente mais plus massive et inscrite dans la durée, la campagne qui le prend pour cible touche dans le mille. Résultat: burn-out, calcul rénal et adieux à Twitter.

Il a "vu naître le monstre ", pourtant, et il en était bien accro au départ du logo en forme d'oiseau bleu avant de s'y brûler les ailes. Twitter ou la promesse d'une démocratie sans filtre, la dérision en supplément d'âme, comme un paravent d'humilité. Dès le départ, pourtant, la grammaire originelle de Twitter porte en germe tyrannie morale et logique d'exclusion. Quand les politiques et les militants s'y pressent à leur tour sur le mode "je m'indigne, donc je suis", l'air devient irrespirable. Samuel Laurent fait bien le tour de l'impasse. On ne peut guère discuter sur Twitter, encore moins convaincre, car "une fois l’indignation éprouvée puis exprimée, difficile de revenir à la raison. C’est ce qu’on appelle l’effet de cadrage : lorsque l’on a posé un cadre de signification, il est très difficile d’en sortir."

Quelques idées reçues en prennent au passage pour leur grade. Twitter repaire d'une jeunesse impertinente ou d'un "lumpenprolétariat" fâché par nature contre tout échange civilisé ? Seniors ou pre-seniors y sont pourtant légion, ascendant CSP+. Twitter vitrine de mouvements telluriques sur le plan social ou sociétal ? C'est Facebook que les Gilets Jaunes ont préféré innerver. Quelques hashtags bien sentis, de Black Lives Matter à MeToo, ont pu éventuellement donner le change, et la caisse de résonance a plutôt montré son efficacité face aux violences policières. Mais là, c'est plutôt le Twitter-hameçon qui s'est illustré. Non pas comme source d'information mais comme appât pour journalistes à la pêche aux "tendances".

Au terme d'un ouvrage aussi glaçant qu'instructif, on reste pourtant résolu à faire la part des choses entre la face sombre des réseaux sociaux et celle, moins abrupte, où des infos, des ouvertures et des propos pas forcément abîmés dans l'ivresse de la colère peuvent relier des personnes qui ne partagent pas le même avis. Samuel Laurent le reconnaît lui-même, tout est affaire de maîtrise, même si Twitter demeure, y compris pour les esprits habituellement les plus ouverts, une addiction et un piège où l'on peut tout perdre d'un seul coup: son sang-froid, son honneur, sa dignité. Des risques toujours d'actualité même si l'"oiseau bleu ", toujours avide de bonne conscience, a finalement congédié les "sauvages" façon Trump.

J'ai vu naître le monstre (Twitter va-t-il tuer la #démocratie ?), Samuel Laurent (Éditions Les Arènes)