L'Inconnu de la poste
Un phrasé au couteau, sans fioritures ni surlignage, au plus près de l'âme. Toujours cette faculté si rare de ressentir un lieu, une sociologie, ou alors un cœur qui bat. Et puis cette empathie qui ne juge jamais, cette pudeur qui résiste à tout, même au glauque. Florence Aubenas a beau convoquer tous les talents qu'on lui connaît, on reste cette fois-ci sur sa faim face au fait divers qui la passionne et ne reste, du moins à nos yeux, qu'un fait divers.
Quel casting, pourtant ! Au centre de l'intrigue, Gerald Thomassin, l'ex-Petit criminel de Jacques Doillon, né dans la zone et rattrapé par la zone. Échoué à Montréal-la-Cluse dans l'Ain, ce département de transit entre la France et la Suisse, il fait figure de coupable idéal dans le meurtre en 2008 d'une quadra enceinte de deux mois, Catherine Burgod, employée dans une petite poste servant aussi de billetterie SNCF. Thomassin voulait se faire oublier et se ressourcer dans un bled perdu, c'est raté. Une maladresse d'aspect permanente, des paroles ambigües lâchées ici ou là, une manière de frimer et de frôler le "border line" de plus en plus gênante le transforment en suspect No 1.
L'enquête s'éternise, pourtant. Pas d'ADN ni de témoins probants, un air "saturé de rumeurs ", le père de la victime réduit à l'état de notable endolori et pour finir, Thomassin qui disparaît mystérieusement avant même le probable non-lieu qui devait ponctuer ses deux ans de préventive... Autant d'ingrédients d'une mayonnaise difficile à rattraper. La journaliste ne ménage pourtant pas ses efforts, d'abord au sujet de la victime, blonde mature plutôt décalée, entreprenante et séductrice sans pour autant faire vibrer le lecteur. Rien à voir avec la Laëtitia d'Ivan Jablonka.
L'environnement socio-économique ne titille pas davantage. Ici comme ailleurs, les industries traditionnelles déclinent. Des marginaux abonnés au Subutex essaient en vain d'épater la galerie. Morne vallée. Eric Dupond-Moretti fait un passage-éclair. Le matamore du barreau détonne sans difficulté au milieu d'une justice aussi percluse de faux pas.
C'est Thomassin finalement qui retient le plus l'attention avec son inquiétante gentillesse, la façon dont il se prend pour Scarface, ses gestes soudains et cabossés. Il refuse quelques beaux rôles, le bisexuel séropositif des Nuits fauves, par exemple. Après avoir régulièrement poli son César du meilleur espoir masculin avec une brosse à dents et du vinaigre blanc, il le vend dans une boutique spécialisée pour payer ses créditeurs. Destin en pointillés, délayé sans que rien ne s'enclenche réellement. L'inconnu de la poste, quant à lui, n'a toujours pas d'état-civil.
L'Inconnu de la poste, Florence Aubenas ( Éditions de l'Olivier).