Mardi 4 mai 2021 par Ralph Gambihler

La Sagesse de la pieuvre

Boy meets girl sous une forêt d'algues marines. La "girl" en question est un poulpe. Synopsis pour le moins déroutant pouvant même rappeler certains mauvais souvenirs, et pourtant La Sagesse de la pieuvre nous enveloppe de tous les charmes d'une love story subaquatique dès lors qu'elle est aussi fantastiquement amenée, rythmée et filmée. C'est le documentariste animalier sud-africain Craig Foster qui est à l'origine du projet. Pendant plus d'un an, il va plonger en apnée dans les eaux parfois bien ténébreuses et plutôt frigorifiées de la région du Cap pour suivre la vie d'une pieuvre. Brève rencontre.

La façon dont la femelle mollusque agrippe avec ses ventouses la caméra de l'intrus déposée au fond de l'eau, la tentacule qui touche ensuite la main de l'homme... Autant de séquences qui font d'abord sourire avant de nous emporter dans une émotion à la E.T. On pense aussi à Spielberg par rapport à un autre de ses films, Duel. Car voici venu le méchant de l'histoire, cet affreux requin-pyjama (vu qu'il a toujours l'air de porter un pyjama rayé...) qui poursuit la pieuvre de toute sa rage. On passe de l'inquiétude au soulagement, de la tristesse à l'euphorie. Miss poulpe a finalement bien de la ressource, surtout lorsqu'elle s'enveloppe de coquillages pour échapper à son prédateur.

Elle parvient même à s'accrocher à son dos, la perfide, s'offrant pour l'occasion une virée au fond des mers sans craindre quoi que ce soit puisque l'autre, même en forçant et en gesticulant de tous les côtés, n'arrive pas à s'en débarrasser. Cognitivement parlant en tout cas, il en jette, l'octopode... Deux crustacés passant par là (un crabe et un homard, pour être précis...) en font les frais sans trop comprendre ce qui leur arrive.  Les réalisateurs Pippa Ehtlich et James Reed transforment tous ces moments tour à tour insolites, joyeux et tristes en odyssée sous-marine mille fois moins barbante que les documentaires de Cousteau. C'est vrai que sans combinaison ni bouteille d'oxygène, ça respire mieux, du moins à l'écran.

On aurait évidemment élagué sans souci le storytelling un peu mélo-new age qui enguirlande le propos, à commencer par le burn-out de Foster et sa quête d'élan vital, la façon dont il fait intervenir son fils, sans parler du discours écolo sur la communion de l'homme et de la biodiversité qu'il faut absolument protéger, comme si on n'avait pas compris le message. Demeure ce cri du cœur du plongeur obnubilé par sa nouvelle copine: "Je finissais par penser comme un poulpe !"... Un transfert amoureux aussi inopiné, cela vaut bien un Oscar.

La Sagesse de la pieuvre, Pippa Ehtlich et James Reed, Oscar du meilleur documentaire 2021, actuellement sur Netflix.