Il n'y aura plus de nuit
La nuit leur appartient. Il leur arrive même de la transformer en jour grâce à leurs caméras thermiques ultra-perfectionnées. La mort aussi est leur métier. Dans leur viseur, elle n'a ni bruit ni couleur. Seuls la matérialisent des nuages de poussière phosphorescents en lieu et place des vies soustraites. Ainsi procèdent les pilotes de guerre déployés sur les théâtres d'opérations extérieures, en Afghanistan ou ailleurs. C'est sur YouTube et autres sites spécialisés qu'Eléonore Weber a glané leurs vidéos macabres qui suscitent la joie des voyeuristes... et une certaine gêne chez les cinéphiles.
Ainsi en va-t-il d'un documentaire assurément saisissant, même si cette croix au milieu du viseur, tout au long du récit, a tendance à nous cadenasser. Tuer, filmer, même combat. On comprend vite en quoi cette chronique de la mort mécanisée et cette surpuissance de l'œil-machine sont sources de réflexions fascinantes, un peu dans le prolongement de cette fameuse dromosphère chère à Paul Virilio. La réalisatrice montre aussi comment une abondance d'images peut obscurcir leur compréhension. Et si tel combattant n'était au final qu'un berger inoffensif, et sa kalachnikov présumée un simple bâton ? Vue du ciel, une bavure reste une bavure.
La caméra était aussi une arme dans Lebanon, de l'Israélien Samuel Maoz, où quatre soldats confinés dans leur tank restaient eux aussi tenus à distance des horreurs qu'ils étaient amenés à commettre. La mise en scène se permettait tout de même quelques contrechamps. Même les gouttes d'eau ruisselant dans le tank, c'était un contrechamp. Il n'y aura plus de nuit ne s'offre pas pareille soupape, sauf dans toute la dernière séquence qui vient bien tard.
Au contrechamp, Eléonore Weber a préféré le contrepoint: un beau texte aux mots soigneusement pesés lu en voix off par Nathalie Richard et qui agglomère le propos de la réalisatrice sur ces images et leur décryptage par un pilote de l'armée française. Combat inégal. La croix dans le viseur cannibalise tout le film. Elle nous capture autant qu'elle nous captive. Elle peut aussi nous rendre complice.
Il n'y aura plus de nuit, Eléonore Weber (Sorti en salles le 16 juin)