Mardi 29 juin 2021 par Ralph Gambihler

Jodie Foster-Hollywood dans la peau

Le Festival de Cannes s'apprête à honorer une femme d'exception. Quelle autre appréciation pourrait inspirer Jodie Foster au regard du documentaire si dense qu'Arte vient de lui consacrer ? Exposée dès son plus jeune âge aux sunlights d'un système qui aurait pu la broyer, la gamine d'Hollywood s'est forgée une trajectoire aussi exceptionnelle que son regard craquant, lumineux et espiègle. Tous les atouts d'une maturité précoce et d'une lucidité à toute épreuve y sont réunis, ainsi qu'une résolution à mener des combats aussi authentiques que nécessaires, devant comme derrière la caméra... et parfois ailleurs.

Ses débuts font peur. Un show TV avec Doris Day, un épisode de Bonanza, des pubs plus ou moins ringardes... L'icône Disney semble promise à un destin façon Jordy. Sa mère qui l'a poussée en avant a heureusement la bonne idée de fréquenter des victimes du Maccarthysme tout en manifestant avec l'ultra-gauche US. Première échappée de couloir... Hollywood fait sa mue au même moment, transformant le minois blond au timbre gouailleur en ange des bas-fonds sous la direction de Martin Scorsese. Devant Taxi Driver, la ménagère américaine de moins de 50 ans tressaille.

Ce rôle si sulfureux de prostituée faisant le trottoir à 12 ans, que notre époque ne permettrait plus, lui revient pourtant en boomerang lorsqu'un désaxé qui s'est pris de passion pour elle rejoue Taxi Driver et ouvre le feu sur Ronald Reagan en 1981. Tornade médiatique. Jodie Foster se réinventait en passant du lycée français de Los Angeles à l'université de Yale, certains la jugent désormais "comme la proie d'un fou et la complice de son œuvre "... La jeune comédienne a beau vouloir séparer l'image que l'on a d'elle à l'extérieur et ce qu'elle est vraiment, l'épreuve stoppe momentanément son ascension.

Petit à petit, elle se reconstruit. Chabrol la met sur les traces de Simone de Beauvoir dans Le Sang des autres. Le rôle d'une serveuse victime d'un viol collectif dans Les Accusés lui vaut un premier Oscar. En butte contre tous les prédateurs, et sans oublier celui qui a failli briser son parcours, elle opte pour des rôles bagarreurs où sa frêle carrure relève du faux semblant, à l'instar de la stagiaire déterminée du FBI qu'Anthony Hopkins rêve de dévorer toute crue dans Le Silence des agneaux. Passant derrière la caméra, son regard touche à l'universel sans jamais gommer la part autobiographique: les affres de l'enfance surdouée dans Le Petit homme, les vices de l'argent-roi et de la télé-poubelle dans Money Monster...

Son féminisme est ailleurs. Face aux ragots ou aux croisades, elle garde longtemps le secret sur son orientation sexuelle. Plutôt que de bannir comme d'autres Roman Polanski, elle démaquille à ses côtés le vernis de la respectabilité bourgeoise dans Carnage. Son amitié obstinée avec le si controversé Mel Gibson est aussi un acte de courage. Elle n'entre pas en intelligence avec l'ennemi, mais avec elle-même. On la caricature comme "l'intellectuelle " d'Hollywood ? Elle en est d'abord le cœur battant et émancipé. "Le cinéma est la meilleure arme qu'a trouvé Jodie Foster pour échapper à la culture du spectacle ", entend-on à la fin du documentaire. Voilà un constat qui met du baume au cœur, comme si le contrôle de soi était le principal moteur, hors-mode mais vibrant, d'une comédienne à jamais mythique.

Jodie Foster-Hollywood dans la peau, de Camille Juza et Yal Sadat (En replay sur Arte jusqu'au 12 août). Coup de projecteur sur TSFJAZZ avec Clovis Goux, auteur de Chère Jodie (Éditions Stock), lundi 5 juillet (13h30)