Lundi 27 septembre 2021 par Ralph Gambihler

Nina Simone (par Frédéric Adrian)

"Oh Lord, please don't let me be misunderstood "... Elle n'est jamais aussi elle-même, Nina Simone, qu'au travers de ce refrain tiré de l'une de ses plus belles chansons. C'est la galère de toute une vie, ce sentiment d'être incomprise, même lorsqu'on le sublime en insoumissions et qu'on fonce vaille que vaille, par-delà les frasques, les colères et les affaissements. Il restera toujours, de toute façon, le génie musical d'une concertiste intranquille, son groove enclin à la gravité, son timbre dont la chaleur donne le frisson...

Ainsi Frédéric Adrian nous raconte-t-il, et toujours à la bonne distance comme dans ses autres biographies dédiées à la Great Black Music, ce que fut Nina Simone et ce qu'elle aurait aimé être. Il lui faut pour cela zigzaguer avec la légende: l'enseignement reçu à la prestigieuse Julliard School ? Il n'a guère duré plus de six semaines. Le Curtis Institute qui refuse de la prendre ? Difficile d'y voir le "racisme institutionnel " à l'œuvre alors que d'autres jeunes filles noires en sont sorties diplômées. En revanche, la blessure originelle du récital où les parents de Nina Simone sont invités à laisser leurs places du premier rang à un couple blanc est bien attestée.

Et pourtant, de Gershwin (I Love You Porgy) aux chansons folk israéliennes, on ne peut pas vraiment taxer de pré-woke les débuts de la chanteuse. La bombe qui tue quatre fillettes noires dans une église de l'Alabama en 1963 change la donne, inspirant à Nina Simone l'un de ses titres les plus forts, Mississippi Goddam. Rencontrant un peu plus tard Martin Luther King, elle lui assène: "Moi, je ne suis pas une non-violente ! ", ce à quoi le pasteur lui répond: "Pas de problème, ma sœur "... Dans cette veine "droits civiques " qui ne diminue en rien son succès malgré les craintes de son entourage, elle force parfois le trait, prenant pour cible ses admirateurs blancs mais aussi le public noir à qui elle reproche son apathie dans le contexte racial du moment.

Quelle cogneuse ! Surtout contre elle-même... Car lorsqu'elle ne vitupère pas sur scène ou ailleurs, Nina Simone parle d'abord à Eunice Kathleen Waymon, son vrai nom et son double qu'elle affronte dans un redoutable tête-à-tête dont la dimension pathologique est désormais connue. "Eunice est extrêmement douce et terrifiée par à peu près tout, dira-t-elle, et Nina prend soin d'Eunice. Nina a toujours été là, mais il faut qu'elle se détende. Elle travaille trop durement "...

Bien plus tard, devant Thierry Ardisson, elle lâche: "En fait, je suis très simple, et les gens me demandent d'être profonde tout le temps ". Ce n'est pas le moindre mérite du travail de Frédéric Adrian, outre les formidables archives de presse qu'il restitue, que de nous raconter cette bouleversante quête d'apaisement chez Nina Simone, telle l'inaccessible étoile.

Nina Simone, Frédéric Adrian (Editions Le Mot et le Reste). L'auteur sera l'un des invités de Caviar pour tous, Champagne pour les autres, sur TSFJAZZ, le mercredi 6 octobre, entre 19h et 20h.