Mardi 7 décembre 2021 par Ralph Gambihler

The Power of the Dog

Lasso, banjo et fleurs de papier. Quand Jane Campion s'empare du genre western en adaptant un roman de Thomas Savage, c'est évidemment à sa manière, subreptice et vénéneuse, plantant dans tous les sens du terme l'écharde du non-dit et de la vaine nostalgie dans un monde en décomposition. Rien que dans ce Montana de l'an 1925, déjà, et alors qu'affleure l'ère de l'automobile, c'est devenu presque ringard de monter à cheval. Il faut bien continuer, pourtant, à faire transhumance en bon cow-boy endurci, même si votre bétail est peu à peu décimé par une mystérieuse maladie.

Ainsi résistent Phil Burbank et ses signes extérieurs de virilité. Jusqu'au moment où son frangin embourgeoisé prend pour épouse une veuve (Kirsten Dunst, fleur fanée personnifiée...) flanquée d'un fiston aux manières délicates. Le voir confectionner des fleurs en papier pour sa maman adorée, ça met le rancher hors de lui, tout comme la double intrusion qui se profile dans une fratrie relativement équilibrée. Première mission, régler le sort de la veuve qui, face à un mari empoté et souvent absent, noie sa solitude dans l'alcool. Lorsqu'elle souffre au clavier,  Phil reprend sans fioritures le même air au banjo. Drôle d'écho à une célèbre leçon de piano...

Avec le fiston efféminé mais plus coriace qu'escompté, ce sera une autre paire de manches. Reste à en faire un complice puisque lui aussi est parvenu, dans l'ombre des collines qui surplombent le ranch, à discerner la forme d'un chien la gueule ouverte. Dès lors, les deux masculinités s'équilibrent, rongées par un trouble que Jane Campion met en scène avec luxe et dextérité, épaulée par le jeu saillant et complexe de Benedict Cumberbacht dans le rôle principal.

Qui est le chasseur ? Qui est la proie ? Sans vraiment déconstruire ses personnages, la cinéaste en exhume les secrets. Dans les lassos des préjugés qui volent en éclat tant la corde est l'un des accessoires clés du récit, le film atteint alors un degré de toxicité sublimé par les arpèges de guitare signés Jonni Greenwood. Le reste relève de la plénitude dont fait preuve Jane Campion au travers de plans larges et de vues aériennes qui enrobent son bluffant huis clos à ciel ouvert.

The Power of the Dog, Jane Campion, Lion d'argent à Venise, actuellement sur Netflix.