Mardi 8 février 2022 par Ralph Gambihler

Une sortie honorable

Sa plume dansait la Carmagnole dans 14 juillet. Sarabande bien plus macabre dans L'Ordre du jour où les compromissions menant l'Europe vers l'abîme nazi donnaient matière à un récit glaçant couronné d'un Goncourt. Avec Une sortie honorable, Eric Vuillard semble vouloir concilier ses deux principaux talents: un souffle épique et une férocité retenue. Les errements de la guerre d'Indochine, sujet trop rarement évoqué, s'y prêtent à merveille.

Résultat pourtant mitigé. Lorsqu'il reprend la structure narrative de L'Ordre du jour avec un récit fragmenté en plusieurs saynètes convergeant vers le même accablement, l'auteur excelle. Nous voici plongés tour à tour dans une plantation coloniale aux pratiques esclavagistes, puis à l'Assemblée nationale où à l'exception de Pierre Mendès France et d'un député communiste arabe de Constantine, la 4eme République agonise de lâchetés replètes.

Nouveau changement de décor avec la désopilante tournée outre-Atlantique du général De Lattre de Tassigny, en quête d'une aide financière américaine au nom des intérêts partagés contre les Rouges, en Corée comme au VietNam. Même regard sarcastique sur les affres de son successeur à la tête du corps expéditionnaire français, le général Navarre. Mandaté pour trouver à ce conflit "une sortie honorable ", Diên Biên Phu signe sa perte. "Le déshonneur eut peut-être mieux valu ", observe l'auteur.

C'est lorsque sa plume s'épanche qu'Éric Vuillard se perd. Des rizières indochinoises au Katanga, le martyr de Patrice Lumumba débarque dans le récit sans crier gare et dans le genre lyrisme à la noix, c'est assez consternant. La CIA est partout, on le sait bien, mais cette escapade messiano-géographique ne se justifiait guère.

Même déception lorsque l'auteur dépeint le conseil d'administration de la Banque de l'Indochine qui a sciemment spéculé sur la défaite. Vuillard la vomit, cette faune financière qui prolifère dans la consanguinité et à laquelle il oppose les troupes du Viêt-minh se battant sandales au pied... Sauf que la charge est lourdement caricaturale et plombée par des phrases à rallonge. Du coup, sur le strict plan romanesque, la sortie est peu honorable.

Une sortie honorable, Éric Vuillard (Actes Sud)