Samedi 12 février 2022 par Ralph Gambihler

Bac Nord

Ce film qu'on s'était résolu à ne jamais voir. Il est vrai que sur le berceau de Bac Nord, le jour de sa sortie en salles, les trois fées austères du politico-cinéphiliquement correct que sont Le Monde, Libération et Télérama avaient conjuré leurs efforts pour envoyer le polar marseillais de Cédric Jimenez en enfer. Un journaliste irlandais n'avait-il pas déjà donné le ton à Cannes en accusant le réalisateur de rouler pour Marine Le Pen, laquelle ne se privera pas de dire tout le bien qu'elle pense du film ?

On se calme, serait-on tenté de répliquer en découvrant Bac Nord sur Prime Vidéo... même si le film n'a rien de calme. Éruption permanente de souffle, de rage de filmer, de plans sidérants, 1h47 de cinéma pur qui ne prend guère le temps, c'est vrai, de gamberger sur son propos à ceci près que le spectateur n'a pas le temps de gamberger lui non plus. Le récit s'inspire pourtant de faits réels, à savoir les dérives d'une brigade anti-criminalité (BAC) du nord de Marseille dont Manuel Valls avait prononcé la dissolution en 2012 alors que plusieurs de ses membres avaient rémunéré leurs informateurs avec du cannabis.

À l'écran, survoltage d'écriture oblige, ce sont d'abord trois fusibles qui disjonctent, boules de nerfs plus ou moins contenues, pressurisés par leur hiérarchie mais sans vrais moyens pour mener leurs missions à bien, sauf à franchir la ligne rouge. Dans le camp d'en face, les dealers paradent façon zombies des favelas, torses nus et masqués, mais Jimenez filme aussi une mère de famille maghrébine apeurée qui ouvre sa porte et sourit à l'un des policiers lors de la séquence hallucinante de l'assaut d'un bâtiment de la cité. Dans Bac Nord, de fait, personne n'a le monopole de l'humanité. En cela, le film rappelle un peu le Dheepan de Jacques Audiard et son vernis de testostérone derrière lequel se nichait une vraie douceur de regard sur les failles de ses personnages.

C'est ainsi qu'une indic au féminin singulier bouleverse autant que les flics fracassés dont le dernier tiers du récit, tout aussi suffocant que ce qui a précédé mais sur une autre tonalité émotionnelle, développe la descente aux enfers une fois pris la main dans le sac. Même regard pétri d'humanité sur Marseille et ses épiphanies de tchatche et de soleil au sein desquelles fait merveille François Civil, le fanfaron solitaire de la bande. Rien à redire également du degré d'implication des autres acteurs -et actrices. Même Gilles Lellouche en macho crucifié s'avère bluffant !

Avancée enfin par les détracteurs comme par certains défenseurs de Bac Nord, la comparaison avec Les Misérables relève de l'argument factice. Au-delà de leur décor urbain, les deux films ne boxent pas dans la même catégorie. Ladj Ly raconte un panier de crabes où chaque micro-groupe régule ses propres spasmes en essayant de neutraliser l'autre. Cédric Jimenez s'inscrit dans un schéma plus classique, moins politisé dans le propos mais autrement plus détonnant dans l'univers parfois bien poussiéreux du polar à la française. Quelques César en perspective, dés lors, ne seraient pas immérités.

Bac Nord, Cédric Jimenez, Prime Video.