Samedi 5 mars 2022 par Ralph Gambihler

Belfast

Le grand prix du public au festival d'été de Toronto donne généralement la clé des prochains Oscars. Les nominations pour la cérémonie phare du cinéma américain ont pourtant relativement douché les espoirs de Belfast, le film autobiographique de Kenneth Branagh, qui espérait à cette occasion une razzia plus conséquente.

Il serait au demeurant assez navrant que cette chronique familiale vernie dans son noir et blanc d'opérette s'impose au détriment d'autres films plus consistants. A l'instar du récent Nightmare Alley de Guillermo del Toro, rutilante machine dénuée de toute saveur, Belfast témoigne d'une certaine tendance du cinéma anglo-saxon à privilégier l'écrin sur le contenu. Il est guère étonnant, à ce propos, de voir que mis à part son actrice principale, les Oscars ont complètement négligé dans leurs nominations Spencer, de Pablo Larrain, qui constituait pourtant la proposition la plus dense de ce début d'année.

Mais revenons à nos moutons irlandais... Buddy, gamin de carton-pâte coiffé comme il se doit, ne comprend pas vraiment pourquoi le quartier ouvrier de Belfast où il a l'habitude de gambader allègrement se retrouve à feu et à sang suite aux expéditions punitives d'extrémistes protestants venus enquiquiner ses bons voisins catholiques. Ça tombe bien, nous non plus ne sommes pas plus au fait de ce qui se passe historiquement parlant au début du récit. 1969 n'est pourtant pas une date anodine dans l'odyssée irlandaise, mais Kenneth Branagh n'a guère l'esprit à contextualiser ses souvenirs d'enfance.

Il excelle davantage dans l'art des saynètes sulpiciennes: la cousine peu farouche qui embarque l'enfant dans des aventures dangereuses, la petite amoureuse toute sage (manque de bol, elle est catholique...) pour qui Buddy cueille des fleurs dans le champ, le brave père protestant trop neutre pour certains de ses coreligionnaires et qui va finir par faire migrer toute sa famille vers l'Angleterre... Le pompon de la petite larme, ce sont les grands-parents qui prodiguent de si précieux conseils avant d'être rattrapés par le temps qui passe.

Il faut s'appeler Fellini et signer Amarcord pour rendre compte d'une époque à travers le point de vue d'un enfant. Uniquement réputé jusqu'ici pour ses adaptations clinquantes de Shakespeare et des blockbusters sans intérêt, Kenneth Branagh joue nettement en division inférieure, privilégiant un folklore aussi assourdissant que les chansons de Van Morrison qui parsèment à contre-emploi une B.O. qu'on aurait rêvé plus délicate.

Belfast, Kenneth Branagh (sur les écrans depuis le 2 mars)