L'Arnaqueur de Tinder
Une Norvégienne, une Suédoise et une Néerlandaise se font gruger sur l'application de rencontres Tinder. Hôtel cinq étoiles, jet privé... Le pseudo-dragueur se prétend fils de diamantaire israélien, sauf que Simon Leviev s'appelle en réalité Shimon Hahut. Après avoir promis la lune à ses dulcinées, il leur révèle qu'il mène une vie dangereuse. Voilà bientôt qu'on le menace, son garde du corps est blessé, il a besoin d'argent au plus vite, via de précieux virements.
C'est ainsi que L'Arnaqueur de Tinder, pour reprendre le titre du documentaire rudement bien fichu signé Felicity Morris pour Netflix, a extorqué des centaines de milliers de dollars à différentes partenaires, y compris lorsque le coup de foudre n'était qu'amical comme avec la Suédoise. Son modèle s'inspirait de la pyramide de Ponzi: il utilisait l'argent de l'une pour offrir la dolce vita à l'autre, avant de soutirer à cette dernière les mêmes sommes de manière à mener sa vie de pacha avec une tierce personne, s'offrant au passage une garde-robe à faire pâlir les fashionistas.
Tout au long du docu on ne voit que lui, fielleux et crapuleux. Jusqu'au moment où le ton change, une fois que ses victimes se sont soudées entre elles pour le faire tomber. Le voici alors éructant sur Whatsapp, menaçant son interlocutrice, jurant aussi de s'en prendre à sa famille. Quand des journalistes norvégiens puis Interpol s'en mêlent, on jubile... Et puis on hallucine lorsqu'on voit après coup les réactions que ce récit suscite: les victimes de l'arnaqueur n'auraient qu'à s'en prendre à elles-mêmes. Stupides et vénales, Cecilie, Pernilla et Ayleen seraient les premières responsables du cycle infernal de l'endettement dans lequel elles se débattent encore aujourd'hui.
Stupides, ou alors idéalistes, investissant leur quête amoureuse dans un dispositif d'abord conçu pour des visées sexuelles ? Quel autre espace que numérique, désormais, pour fantasmer la rencontre décisive même si en théorie, on aimerait tous découvrir le partenaire idéal "dans un bar ou une épicerie ", comme l'affirme Cecilie ? La vénalité supposée de ces femmes est toute aussi sujette à caution alors qu'elles paraissent déjà disposer d'un revenu conséquent et que c'est d'abord un visage qui les fait craquer, même si on peut supposer qu'un profil de SDF n'entrerait pas aisément dans leur champ d'action.
"On en veut à ses femmes femmes parce qu'elles ont dénoncé l'imposture et mis un terme au rêve nourri de l'arnaque ", explique pour sa part le psychanalyste et écrivain Patrick Avrane à notre consœur de Libération Katia Dansoko Touré (anciennement à Jazz Magazine), comme s'il n'y avait rien de plus moche qu'un stratagème démantelé. Si encore l'arnaqueur était une anarqueuse ? Shimon Hahut peut donc continuer à pavaner. Vide juridique oblige au regard de ses actes, il n'a écopé que d'une courte peine pour de menus délits commis en Israël. Peut-être espère-t-il à présent un film à sa gloire. Avec Romain Duris dans le rôle principal ?
L'Arnaqueur de Tinder, Felicity Morris, actuellement sur Netflix.