Oussekine
L'étudiant tabassé à mort a-t-il vraiment applaudi le Mississippi Goddam de Nina Simone à La Paillotte, un club de la rue Monsieur Le Prince, avant sa rencontre fatidique avec le peloton de voltigeurs du tandem Pasqua-Pandraud ? La scène qui ouvre la série semble en partie inventée. Malik Oussekine sortait bien d'un club de jazz ce soir-là mais La Paillotte, transformée depuis en pub irlandais comme le montre sur Twitter l'excellent enquêteur de Soul Bag Frédéric Adrian, n'a jamais été réputée pour ses concerts, sauf à imaginer qu'une Nina Simone au creux de la vague ait honoré les lieux quasi-incognito ce 5 décembre 1986...
Fictif ou pas, ce trait d'union entre la pianiste noire défiant l'Amérique ségréguée et l'étudiant insouciant fait sens. Il inscrit le destin tragique de Malik Oussekine dans le cycle sans fin des brutalités policières et du rejet de l'immigration en France, comme si les coups mortels assénés au jeune homme ce soir-là, et alors même qu'il n'était pas directement impliqué dans les manifestations étudiantes contre la loi Devaquet, faisait écho à l'odyssée d'une famille algérienne ayant tout vécu: les ratonnades du 17 octobre 1961, "l'intégration" (ce terme qu'on n'emploie plus, paraît-il...) dans la société française, et puis cette réalité sordide qui vous rattrape et prive une mère du meilleur de ses fils.
C'est une comédienne palestinienne (ce qui fait autant sens que le lien avec Nina Simone...), Hiam Abbass, qui campe puissamment cette mère dépassée par les événements, repliée dans son chagrin et sans illusions sur la capacité de son pays "d'accueil" à réparer ce qu'elle a subi. Dans son écriture et sa mise en scène, Antoine Chevrollier lui rend au moins justice, et sans jamais sacrifier au pathos. Il révèle également le jeu aérien, tout en allégresse tragique lorsqu'on connaît la suite de l'histoire, de Sayyid El Alami dans le rôle-titre de la série. Le reste du casting ne comporte guère de fausse note, à l'instar d'Olivier Gourmet dans la peau du cynique ministre Robert Pandraud. Le choix de Kad Merad dans le rôle de l'avocat socialiste Georges Kiejman surprend davantage. Il faut un peu de temps au spectateur pour se laisser convaincre.
Il lui en faut aussi pour comprendre et accepter que le format par définition étriqué de la mini-série en quatre volets ne rendra pas forcément compte de toutes les dimensions de cette affaire. Le contexte estudiantin vire à la caricature, l'épisode de la bible trouvée à l'intérieur de la poche du jeune homme manque de développements, tout comme l'instrumentalisation du drame par François Mitterrand. Le récit percute davantage quand il cerne le harcèlement raciste dont la famille Oussekine reste la proie après le drame. Tout aussi accablantes, les ripostes du pouvoir de l'époque face à sa mise en cause: on ne prévient pas tout de suite la famille du drame qui vient d'avoir lieu. Il s'agit d'abord de salir Malik Oussekine et de le faire passer pour un terroriste (fut-il chrétien...) avant d'expliquer sa mort par ses seuls antécédents médicaux, comme ce sera le cas plus tard pour Adama Traoré.
Le reste nous fend le cœur, à commencer par ce montage cisaillant qui "dissémine" pour ainsi dire la mort de l'étudiant tout au long des épisodes sans jamais montrer la séquence en un seul bloc, ou encore le procès final à l'issue duquel les deux policiers accusés seront reconnus coupables tout en bénéficiant du sursis... Ainsi Malik Oussekine est-il devenu un repère pour toute une génération et pour d'autres qui ont suivi au regard de cette devise qui, au nom d'une "certaine idée de la France", a toujours cours de nos jours: liberté, égalité, impunité.
Oussekine, série en quatre épisodes d'Antoine Chevrollier, accessible depuis le 19 mai sur la plateforme Disney+