Tori et Lokita
Que peut le cinéma face à l'horreur du monde ? Cette question était au cœur de l'avant-dernier opus des frères Dardenne, Le jeune Ahmed. Pour être plus précis, et la question était redoutable, le cinéma pouvait-il sauver le petit monstre djihadiste dont les deux frangins belges filmaient l'odyssée ? Le récit butait sans cesse sur cette question avant qu'une "chute" finale, dans tous les sens du terme, n'apporte la plus belle et la plus inattendue des réponses.
On sera malheureusement bien en peine de trouver un enjeu cinématographique aussi fort dans Tori et Lokita. La grammaire des Dardenne, certes, continue à nous captiver. Elle mêle toujours ce même alliage prodigieux entre précision et mouvement dans la façon dont ces deux jeunes mineurs béninois échoués en Belgique s'efforcent de vivoter entre passeurs implacables et petits caïds du trafic de drogue. La circulation des personnages, mais aussi l'attention à chacun de leurs gestes par lesquels ils tentent de se dépatouiller dans l'inextricable font l'objet d'une mise en scène aussi minutieuse qu'aérée. Elle ne convoque guère le pathos tout en atteignant le cœur par sa vitalité même.
Sauf que ça ne suffit pas... Que veulent tisser les Dardenne au travers de la différence d'âge entre Tori et Lokita ? Quelle énigme est en jeu derrière le lien familial fictif qu'ils affichent auprès des services sociaux ? A quoi rime surtout l'imbrication de ce lien dans le canevas éculé du film de genre avec les méchants gangsters et leurs victimes forcément innocentes ? Faute de réponse consistante, ne reste que l'humanisme d'un propos (et aussi l'intensité d'une belle chanson italienne réunissant les deux personnages principaux) qui n'apporte guère de réel supplément à la grande cause des sans-papiers.
Tori et Lokita, Jean-Pierre et Luc Dardenne, sélection officielle au dernier festival de Cannes (le film est sorti hier)